TOUT EST DIT

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mardi 8 février 2011

Le grand désarroi de la diplomatie

Jamais l'URSS n'acceptera la réunification de l'Allemagne. » « Le président Ben Ali contrôle la situation. » « Le président Moubarak a toute notre confiance. » Pourquoi les chancelleries semblent-elles si souvent prises de court par les phénomènes révolutionnaires ? Pourquoi ont-elles tant de mal à prévoir et à intégrer le changement radical ? Ce n'est pas une question partisane. Face à l'effondrement du bloc soviétique hier, face aux bouleversements au sein du monde arabe aujourd'hui, la France de François Mitterrand ou celle de Nicolas Sarkozy ont fait preuve du même aveuglement initial. Et ce n'est pas une question de pays non plus. L'Amérique de Barack Obama -après avoir suscité les plus grands espoirs dans le monde musulman par la force prophétique de son « Discours du Caire » en juin 2009 -a semblé elle aussi avoir toujours « un temps de retard » face aux péripéties de la « révolution égyptienne ».

Comment expliquer cette difficulté des diplomaties à voir venir le changement ? Alors que le statu quo est confortable et rassurant, les transformations révolutionnaires dans leur rapidité, sinon dans leur brutalité -même si elles peuvent amener le progrès -sont par nature inquiétantes. « On sait ce que l'on a, on ne sait pas ce que l'on aura. » Les ruptures introduisent une remise en cause des habitudes et des certitudes et une fuite dans l'inconnu. Au nom du réalisme, les diplomaties sont naturellement conservatrices. Seraient-elles naturellement incapables de prévoir le changement parce que fondamentalement elles ne le souhaitent pas ?

Au-delà des attitudes mentales, il y a les procédures et les moyens. En mettant l'accent de manière trop exclusive sur les relations d'Etat à Etat, de gouvernement à gouvernement, « la diplomatie classique » -celle si prudente du Quai d'Orsay en particulier -ne se créerait-elle pas un « handicap » bien difficile à surmonter ?

En incitant leurs diplomates à limiter au minimum leurs contacts avec la société civile pour ne pas « irriter » les régimes despotiques, les « chancelleries » se condamnent irrémédiablement à ne pas voir venir le changement, ou à le percevoir trop tard. Quand l'Etat n'est plus légitime aux yeux de ses citoyens est-il raisonnable de se contenter de voir « ses seuls serviteurs et vassaux » ? Les diplomates en poste ne feront que retranscrire les propos lénifiants ou aveugles qui leur sont confiés par les confidents du régime. En réalité, les diplomates devraient être jugés sur leurs capacités à engager un dialogue avec tous les acteurs de la société, quels qu'ils puissent être : acteurs gouvernementaux et économiques, mais aussi représentants de la société civile, même si celle-ci n'existe que de manière embryonnaire. Ils anticiperaient ainsi le changement de manière moins hasardeuse. La « diplomatie régalienne » serait ainsi à même de mieux réagir à l'événement.

Cette meilleure appréhension du changement est devenue indispensable au moment où se produisent des transformations qui peuvent s'apparenter sur le plan géopolitique à ce que sont les mouvements de plaques tectoniques sur le plan géologique. A prendre du retard dans la perception du changement, on prend le risque de perdre sur tous les tableaux, celui des peuples comme celui des régimes.

En Egypte, après avoir beaucoup hésité, l'Amérique a fait le pari de l'armée contre Moubarak, celui de sacrifier un homme condamné pour sauver un système, sans doute condamnable, mais qui face au spectre de l'islamisme ou du chaos apparaît encore comme la moins mauvaise des solutions. Est-ce trop peu et trop tard ? En prenant leurs distances avec le régime, les Etats-Unis n'ont-ils pas, par leurs tergiversations, déjà échoué dans leur tentative de renouer des liens avec « la société », même si celle-ci est clairement divisée ? De Riyad à Jérusalem en passant par Amman, les alliés de Washington sont eux aussi saisis par le doute. Et si leurs intérêts et ceux d'une Amérique incertaine ne coïncidaient plus ?

Un spectre hante Barack Obama. Celui d'apparaître un jour, aux yeux de ses concitoyens, comme l'homme qui a « perdu l'Egypte » : tout comme Truman avait « perdu la Chine » et Carter l'Iran. Il peut être coûteux de ne pas prévoir à temps ce que l'on n'a pas voulu voir venir.

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