mardi 8 février 2011
La magistrature se rebiffe
Les crimes sexuels révoltent particulièrement l'opinion publique. Et quand l'horreur s'ajoute à l'horreur, quand le présumé criminel joue avec les nerfs de ses victimes, alors l'indignation est à son comble et un cri fuse: « Plus jamais ça ! Plus de récidivistes en liberté ! » Le pouvoir politique ne peut pas ne pas l'entendre et rester bras ballants.
En 2007, candidat à la magistrature suprême, Nicolas Sarkozy promettait déjà de résoudre le problème des récidivistes sans tarder. Depuis, on assiste à une avalanche de lois et, à chaque crime horrible, à des attaques répétées contre les juges fautifs. La semaine dernière, avant d'avoir reçu des conclusions définitives, il a, une nouvelle fois, dénoncé ces juges qui n'auraient pas organisé le suivi de Tony Meilhon.
Spontanément, d'abord à Nantes, puis dans des dizaines de tribunaux, des magistrats se sont levés, cette fois pour dire non, ne tirez plus sur les lampistes. Réaction excessive, a jugé, hier soir, le Premier ministre, François Fillon, bien embarrassé. Son gouvernement va devoir affronter une fronde inédite. Les juges ne manquent pas d'arguments. Ils désignent, à leur tour, un coupable, l'État, qui ne leur accorde pas les moyens nécessaires à leurs missions.
C'est étrange comme la désormais célèbre apostrophe « Indignez-vous ! », de Stéphane Hessel, fait des émules. Nicolas Sarkozy est lui-même un multirécidiviste de l'indignation. Que le président de la République, en homme de coeur, reçoive les victimes et leur promette, dans l'intimité de son bureau présidentiel, d'agir, est une chose. Qu'il s'empresse, ensuite, de désigner à la vindicte populaire une institution essentielle à la bonne marche de la République relève, par contre, d'un populisme pénal quelque peu suspect.
Jean-Louis Nadal, le procureur général près la Cour de cassation, a, d'une phrase, le 7 janvier, décrit le sentiment actuel des magistrats. En résumé : on nous méprise. Instiller la confusion, a-t-il dit, « entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, avilit l'institution et, en définitive, blesse la République ». La magistrature, réputée corporatiste, docile au pouvoir en place, et mal aimée des Français, se rebiffe donc.
Cette fronde a des racines profondes. Ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy dictait souvent ses quatre volontés aux gardes des Sceaux. Il encensait ses policiers, dénigrait les juges, par trop laxistes, lents, raides, jargonneux... Ses attaques sont aujourd'hui préméditées.
Le Président a l'oeil rivé sur sa réélection. Il a légiféré à tour de bras. Il a imposé les peines plancher, le plaider-coupable, développé la comparution immédiate. Il rêve d'une justice automatique, rapide.Il a multiplié les textes contre la récidive.
Mais toute cette « législation de fait divers » ¯ un crime, une loi ¯ et sa politique sécuritaire n'obtiennent pas les résultats attendus. Il sait qu'il seraattaqué par l'opposition sur lesujet.
L'histoire des relations entre les magistrats et la classe politique est, certes, celle d'une longue défiance. De Gaulle les traitait en vassaux. Mitterrand s'en méfiait. Chirac oscillait. Sarkozy, lui, les dénigre quand Fillon, le modéré, en appelle chacun à une conception élevée de la justice. Celle que pourrait porter une véritable réforme de cette institution. Elle est vouée aux oubliettes depuis un quart de siècle.
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