mardi 11 janvier 2011
Le paradoxe tunisien
Les explosions de violence et leur répression meurtrière en Tunisie illustrent le paradoxe d'un pays qui a joué avec succès la carte de l'ouverture économique et du capitalisme mais dont le régime s'est peu à peu éloigné, sinon coupé, de ses classes moyennes, pourtant les principales bénéficiaires de l'essor de ces dernières années. A cet égard, la crise que doit affronter le président Ben Ali n'est pas sans rappeler l'atmosphère de fin de règne que l'on connut jadis du temps du président Bourguiba, lorsque le « Combattant suprême », miné par la maladie, victime d'un vil entourage et reclus dans son palais de Carthage, n'était plus alors que l'ombre du formidable visionnaire qu'il avait été pour la Tunisie moderne. Lui aussi dut affronter de graves troubles sociaux, faute d'avoir su conserver le soutien d'une classe moyenne déjà en plein décollage.
Certes, on notera que les emballements qui secouent la Tunisie aujourd'hui surviennent dans les régions du centre, les plus à l'écart du tourisme et de la prospérité des commerçantes villes côtières. Bref, là où les dividendes du progrès économique sont les moins bien redistribués, là où les espoirs de prospérité sont les plus éloignés : on se révolte à Kasserine, pas à Sousse. Mais les conséquences de la crise économique occidentale se font sentir aussi jusqu'à Tunis. Celles-ci s'accompagnent d'un réel sentiment d'injustice. Dépourvue des ressources naturelles colossales de ses voisins algérien et libyen, la Tunisie, legs de Bourguiba, a massivement investi dans l'éducation. Les entreprises françaises ou européennes qui, contrairement au cliché, n'y installent pas seulement des usines textiles mais également des activités à forte valeur ajoutée, peuvent en témoigner. Pour cette Tunisie qui, depuis bientôt deux générations, s'est hissée sur l'échelle du développement, la crise actuelle est un coup très dur. Elle ruine les rêves de nombreuses familles qui avaient pu envoyer leurs enfants à l'université et se trouvent confrontées au chômage. C'est d'abord contre cela que se révoltent les Tunisiens : le manque de débouchés. Leur frustration est économique avant d'être politique, quoi que l'on puisse penser du régime de Ben Ali. Le pire qui puisse arriver serait que cette frustration fasse le lit des extrêmes. La Tunisie moderne en serait doublement perdante.
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