TOUT EST DIT

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samedi 4 décembre 2010

Cantona va-t-il faire sauter la banque ?

Tout est parti d'une de ces fulgurances dont Eric Cantona a le secret. Un coup du sombrero aux traders de la City, suivi d'une reprise de volée en pleine lucarne du système bancaire. Dans une interview à Presse Océan, début octobre, le "King" se laisse aller à quelques réflexions sur la crise : "La révolution, aujourd'hui, se fait dans les banques : tu vas à la banque de ton village et tu retires ton argent. Et s'il y avait 20 millions de gens qui retirent leur argent, le système s'écroule. Pas d'armes, pas de sang, rien du tout, à la Spaggiari [connu comme le cerveau du "casse du siècle" à la Société générale en 1976]."

Ce qui aurait pu rester un simple apparté ou une banale discussion de comptoir s'est vite tranformé en un nouveau manifeste révolutionnaire pour des milliers d'internautes. L'interview, sous-titrée en plusieurs langues, rencontre un franc succès sur les sites de partage de vidéos. Un groupe Facebook, associé à un site Internet en huit langues, relaie la pensée de l'ancien attaquant de Manchester sous ce mot d'ordre : "Le 7 décembre, retirons notre argent des banques !" Sur Facebook, plus de 34 000 personnes se sont engagées à retirer leurs économies à la date prévue, 26 000 iront "peut-être" et 425 000 sont "en attente de réponse". On est loin des 20 millions préconisés par "Canto", mais un tel enthousiasme à vouloir châtier les banques quelque trois ans après le début de la crise des subprimes a de quoi interpeller.
Propulsé gourou d'un nouvel ordre mondial, le King, qu'on pourrait croire un brin dépassé par son aura, assume : il a rejoint le groupe et a promis de joindre le geste à la parole. Face à "l'étrange solidarité qui est en train de naître, oui, le 7 décembre, je serai à la banque", a-t-il déclaré à Libération. Dans la foulée, plusieurs sites, notamment en France et aux Etats-Unis se sont associés à la démarche ainsi que d'autres groupes sur Facebook. La campagne aurait essaimé dans une vingtaine de pays. La presse s'en fait l'écho. The Guardian s'est ainsi fendu de deux articles, l'un pour rendre compte de l'ampleur de la campagne, l'autre pour critiquer l'initiative d'"Eric the Red", tout comme El Pais, la presse allemande ou encore belge.
  • Qu'est-ce qu'une panique bancaire ?
Mardi 7 décembre, donc, des milliers de personnes devraient se présenter à leur guichet munis de valises vides et en repartir des billets plein les poches. Objectif : faire vasciller le système bancaire en rendant les banques insolvables. C'est ce qu'on appelle une "panique bancaire", ou "bank run".
"Le système bancaire fonctionne comme celui des assurances, explique Nicolas Bozou, économiste du bureau d'analyse Asterès. Il fonctionne sauf si tous les clients connaissent un sinistre au même moment, ou décident de retirer leur argent en même temps ". En d'autres termes : le système bancaire est parfaitement sécurisé tant que tout le monde le pense.
La "panique bancaire" est une anticipation auto-réalisatrice qui conduit un grand nombre de clients d'une banque à retirer leurs dépôts le plus vite possible par crainte qu'elle ne devienne insolvable. Ce faisant, ils la rendent effectivement insolvable, aucune banque ne possèdant les liquidités correspondant aux dépôts de ses clients. Ne pouvant faire face à ces multiples demandes de retrait, qui peuvent s'accroître rapidement par effet de mimétisme, l'établissement court le risque de ne plus pouvoir payer ses frais de fonctionnement. "Quand tout le monde a un comportement irrationnel, il peut alors devenir rationnel d'être irrationnel", résume Nicolas Bazou pour expliquer ce type de phénomènes.
  • Les précédents
L'appel du 7 décembre n'est pas à proprement une panique bancaire, puisqu'il est planifié et vise à punir le système. Il ne se transformera en "bank run" que si l'ampleur de la mobilisation est telle que les autres clients finissent par trouver à leur tour plus "rationnel" d'aller vider leurs comptes de crainte que le système s'écroule. L'économie mondiale a déjà connu ce type de phénomènes à plusieurs reprises, toujours en période de grande crise.
- En 1907, un épisode connu sous le nom de "panique des banquiers" aux Etats-Unis accula de nombreuses banques et entreprises à la faillite après d'inombrables retraits de liquidités.
- Pendant la Grande Dépression, en 1929, un nouvel épisode de "bank run" secoua les Etats-Unis. Il sera immortalisé par Frank Capra dans American Madness (La ruée) en 1932, puis dans dans It's a Wonderful Life (La vie est belle) en 1946 :

- Lors de la crise économique argentine, en décembre 2001, le gouvernement a limité les retraits à 250 pesos par semaine pour stopper le phénomène. Cette mesure, surnommée "corralito", provoqua au contraire la panique de la population, chacun tentant de retirer ses dépôts des banques, et la chute du gouvernement trois semaines plus tard.
- En septembre 2007, en pleine crise des subprimes, une véritable panique s'est emparée des clients de l'institution britannique de crédit hypothécaire Northern Rock, après des rumeurs sur son manque de solvabilité. Les déposants commençant à faire la queue pour retirer leurs économies, le gouvernement a été contraint de nationaliser l'établissement pour éviter sa disparition.
- En juillet 2008, des centaines de clients se sont rués dans les agences d'IndyMac Bancorp pour retirer leurs avoirs, en dépit du fait que la banque régionale californienne avait été repris quelques jours plus tôt par les autorités fédérales pour éviter sa faillite.
  • Y a-t-il un risque ?
Si l'on se fie aux précédents, il faudrait que les retraits atteignent plusieurs centaines de millions d'euros au moins en quelques heures pour créer des tensions au sein des banques. Une déferlante d'autant plus difficile à imaginer mardi que les banques demandent un délai de plusieurs jours en cas de retrait dépassant quelques milliers d'euros. Autre facteur de dilution : l'appel visant toutes les banques, sa charge éventuelle serait répartie sur les six grands réseaux nationaux.
Pour Nicolas Bazou, ça ne fait pas un pli : "Ca ne va pas marcher ! Pour que cette démarche soit couronnée de succès, il faudrait que des millions de gens retirent leur argent, or personne ne le fera. Car avant d'être un attentat contre le système, une telle initiative représenterait un danger pour les épargnants eux-mêmes", explique-t-il. "Ce n'est pas la bonne méthode pour attaquer le système".
A en croire certains commentaires sur Facebook ("J'ai plus de sous !", "Et si on est en négatif, ça compte aussi ?"...), le succès de l'opération pourrait en outre dépendre en grande partie du seul retrait bancaire de Cantona.
  • Ce qu'en disent les politiques
La dernière sortie médiatique de "Canto" a beau avoir déclenché un souffle révolutionnaire sur le Net, il n'inspire que haussements d'épaules et sarcasmes dans la classe politique. La ministre de l'économie Christine Lagarde a ainsi peu goûté l'inspiration d'"Eric the Mad", comme le surnommaient les supporters de Leeds United. "Chacun son métier, a-t-elle rappelé : il y en a qui jouent magnifiquement au football, je ne m'y risquerais pas, je crois qu'il faut intervenir chacun dans sa compétence." "C'est un immense footballeur, je ne suis pas sûre qu'il faille le suivre dans toutes ses suggestions non plus", a-t-elle ajouté.
Le ministre du budget, François Baroin, n'a guère été plus tendre. "C'est grotesque et irresponsable. Cantona en conseiller financier, ce n'est pas très sérieux (...) A chacun son métier, et les vaches seront bien gardées", a-t-il déclaré dans une interview à France-Soir. "En tout cas, si des fans retirent leurs billes de leur assurance vie, la responsabilité de M. Cantona sera engagée sur la vie de ces gens-là".
A gauche aussi, les principaux leaders politiques se sont désolidarisés d'Eric le rouge. Sur France Info, Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) déclare : "Je ne sais pas si on gagnerait quelque chose à une faillite générale et instantanée du système". Pour Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) sur LCI, "le problème c'est que les banques, on en a besoin, elles sont utiles".
  • Ce qu'en pensent les banquiers
S'ils relativisent le réel danger de cette initiative, les banquiers n'en sont pas moins interpellés par le ressentiment qu'elle traduit vis-à-vis de leur activité. Dans les colonnes du Figaro, le patron de la BNP, Baudoin Prot, minimise la portée de cet appel, tout en le qualifiant d'"insécuritaire". Aucune "campagne ou action particulière" n'a été mise en place par la direction pour l'échéance fatidique du 7 décembre, précise-t-il.

Valérie Ohannessian, vice-présidente de la fédération bancaire française, a quant à elle déclaré au Guardian que l'idée du King était "stupide par quelque bout qu'on la prenne". "Ma première réaction a été de rire. C'est absolument idiot. La première fonction des banques est de garder l'argent en sécurité", fait-elle remarquer avant de s'interroger sur la faisabilité d'une telle démarche : "Si M. Cantona veut retirer son argent de sa banque, j'imagnine qu'il va lui falloir quelques valises..."


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