TOUT EST DIT

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mercredi 24 novembre 2010

Pourquoi l'Allemagne est prise d'une fièvre verte

Entre 20 % et 25 % : telles sont les intentions de vote prêtées par les instituts de sondage, depuis plusieurs semaines, aux Verts allemands. Autant dire qu'ils font, désormais, presque jeu égal avec les sociaux-démocrates. La progression ne laisse pas d'impressionner, depuis les européennes (12,1 %) et les législatives (10,7 %) de 2009. Elle stimule l'appétit de pouvoir des Grünen. « L'année 2011 sera verte ! Nous ne sommes pas modestes ! », a prévenu Claudia Roth, le week-end dernier, au cours du congrès du parti, qui l'a reconduite à la présidence, aux côtés de Cem Özdemir. Aujourd'hui au pouvoir dans quatre Länder, avec les sociaux-démocrates à Brême et en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, avec les chrétiens-démocrates à Hambourg, avec la CDU et les libéraux dans la Sarre, les Verts espèrent en conquérir deux l'an prochain. D'après les sondages, Winfried Kretschmann serait en mesure de devenir le Premier ministre-président Verts du pays, dans le prospère Bade-Wurtemberg. Renate Künast, cochef du groupe parlementaire au Bundestag, pourrait ravir la mairie de Berlin au social-démocrate Klaus Wowereit.
Cette popularité inédite s'explique en partie par la configuration actuelle de l'échiquier politique allemand. La démocratie chrétienne a de plus en plus de mal à définir son identité. La social-démocratie est toujours plombée par l'héritage Schröder et sa participation à la grande coalition (2005-2009). Les libéraux, qui ont raté leur retour au pouvoir, l'an dernier, se sont effondrés dans les sondages. Les Verts, dans l'opposition depuis cinq ans, ont finalement le beau rôle. La décision du cabinet Merkel, en septembre, d'allonger la durée de vie des centrales nucléaires, a permis de remobiliser les militants historiques, farouchement antiatome. Toute une série d'initiatives populaires contre de grands projets d'infrastructures, comme la gare de Stuttgart, ont augmenté le pouvoir d'attraction des Grünen. Beaucoup de leurs thèmes de prédilection sont désormais partagés par de larges franges de l'électorat. Leur succès s'inscrit, selon Frank Baasner, directeur de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg, « dans une tendance lourde, depuis plusieurs années, dans l'électorat urbain, diplômé, aisé, vers un parti qui traite des sujets de l'avenir : comment développer nos sociétés de consommation dans un sens soutenable ? ». L'opération de séduction fonctionne d'autant mieux au centre droit que les Grünen ont développé une compétence économique, dans l'idée d'orienter le modèle exportateur le plus possible vers les technologies environnementales.
Mais les sondages actuels s'expliquent aussi par des raisons structurelles. Claude Turmes, eurodéputé Verts luxembourgeois, souligne le rôle joué par « la décentralisation du pouvoir politique en Allemagne, avec beaucoup de compétences réservées aux communes ou aux Länder, et le système électoral allemand, dans lequel la proportionnelle a permis aux Grünen d'entrer au Bundestag dès 1983 ». D'où, selon Daniel Boy du Cevipof, « une institutionnalisation et une professionnalisation plus précoces qu'en France par exemple ». Au pouvoir avec les sociaux-démocrates de 1998 à 2005, les Verts ont ainsi démontré, selon Thomas Klau de l'European Center on Foreign Relations, « leur compétence et leur sérieux, leur capacité à gouverner. Ils disposent d'un éventail large de personnalités qui permet de répondre à des sensibilités différentes, sans les guerres intestines qui minent des partis comme le PS français. Une partie du succès actuel des Verts tient aussi à leur capacité à penser le cadre européen et à apporter des réponses transfrontalières aux grands défis que nos sociétés doivent affronter, au moment où les solutions nationales sont clairement inopérantes ».
Leur bonne fortune du moment vat-elle durer ? Rien n'est moins sûr et les leaders du parti appellent d'ailleurs à ne pas céder à l'euphorie. Rien ne dit que les intentions de vote se concrétiseront dans l'isoloir. L'électorat allemand se caractérise par une volatilité croissante. Et l'état-major n'est pas toujours en phase avec la base. Les délégués du parti ont réservé une bien mauvaise surprise à Claudia Roth, le week-end dernier, en rejetant majoritairement la candidature de la ville de Munich aux JO d'hiver de 2018. Or la présidente, qui était impliquée dans le projet, voulait précisément utiliser le dossier pour démontrer que les Verts n'étaient pas systématiquement le « parti contre » les nouveaux projets d'infrastructures (« Dagegen-Partei »).
Autre question : alors que les Verts français viennent de fusionner avec Europe Ecologie, peut-on attendre une « poussée verte » dans l'Hexagone comme on en observe, aussi, au Danemark, en Wallonie ? Pour Rebecca Harms, eurodéputée verte allemande, « à regarder le résultat des européennes, 16,2 %, le potentiel n'est pas plus faible qu'en Allemagne. Mais reste à savoir comment l'exploiter ». Or le nouveau parti pourrait se révéler difficile à manoeuvrer. « Les militants des Verts sont très ancrés à gauche, voire à l'extrême gauche, alors que ceux d'Europe Ecologie sont plus hétéroclites, rappelle Daniel Boy. En outre, le contexte institutionnel français est moins favorable. A la présidentielle de 2012, je doute qu'ils réalisent plus de 6 ou 7 %, or c'est à cette aune-là que se feront les négociations avec les socialistes pour les législatives. Europe Ecologie-Les Verts ne devrait donc pas pouvoir compter sur un très grand nombre de sièges à l'Assemblée. » Les perspectives semblent meilleures au niveau européen. Thomas Klau assure qu' « il y aura progressivement une prise de conscience, par les citoyens, de l'importance du Parlement européen dans la politique de l'UE. Il est très clair que les Verts, par leur idéologie, leur culture, leur pensée, sont les mieux à même de se servir de ce nouvel instrument de pouvoir ».

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