Selon Christophe Barbier, la France doit aux victimes de l'attentat de Karachi une justice intègre et transparente.
Il n'y a pas que la mémoire, et pourtant la mémoire seule suffirait. La mémoire des victimes de Karachi, déchiquetées dans leur bus par la folie de l'islamisme ou des règlements de comptes de barbouzes. Au nom des morts, il faut que la justice avance et, perçant la fumée toujours opaque de l'attentat de 2002, fasse la lumière sur le mobile des assassins: punissaient-ils la France pour son combat contre l'intégrisme ou pour son zèle corrupteur? La nation a-t-elle payé pour sa noblesse ou pour sa pourriture?
Il n'y a pas que la vérité, et pourtant la vérité seule suffirait. La vérité sur les mouvements de fonds qui ont accompagné le contrat Agosta, vente de sous-marins en eaux troubles, dont l'étrave a brassé des vagues d'argent avant même d'être carénée. Les citoyens ont le droit de savoir combien l'on a versé aux décideurs pakistanais et aux intermédiaires de tout poil, dans cette légalité immorale où baigne la conscience des marchands d'armes. Nous avons surtout le droit de savoir quelles sommes sont revenues vers la France, pour remplir quelles poches, sous le vocable propret de "rétrocommissions". Car le néologisme tombe le masque: une commission, c'est de la corruption rebaptisée par la raison d'Etat; une rétrocommission, c'est du vol. Et c'est même un meurtre par procuration si les employés de la DCN ont été tués pour un robinet d'argent sale trop vite fermé.
Il n'y a pas que l'éthique, et pourtant l'éthique seule suffirait. Elle suffirait à justifier qu'on dotât le juge Van Ruymbeke de pouvoirs exceptionnels dans son investigation. Si des ministres, des élus, des conseillers ou des fonctionnaires ont reçu des valises de billets, il faut tout faire pour que leur identité soit établie, leur argent, saisi, et leur procès, exemplaire. Mais c'est parce que cette enquête n'a presque aucune chance de percer les bons coffres, ni d'arrêter les vrais coupables, qu'il faut soutenir sans relâche le magistrat. Afin que la France récupère son honneur en aidant la justice, à défaut de l'avoir préservé en empêchant la corruption. Le Conseil constitutionnel cèle le décryptage des comptes de campagne de la présidentielle de 1995? Que les scellés sautent par une volonté supérieure à celle des Sages: la volonté du peuple. Le magistrat ne peut interroger l'actuel président, qui suivit de près le contrat Agosta? Que Nicolas Sarkozy s'exprime de son plein gré, au nom de cette probité dont il se veut un parangon - et pourquoi ne pas lui en faire crédit?
Edouard Balladur imposa il y a plus de quinze ans un financement de la vie politique des plus drastiques, avec des recettes limitées et publiques, et des dépenses plafonnées et contrôlées. Si l'ancien candidat à l'Elysée ne veut pas que tombe en cendres, chimère d'intégrité, ce moment politique, il doit demander à tous ceux qui l'ont soutenu dans sa campagne présidentielle de se tenir à la disposition du juge.
L'argent qui n'a pas d'odeur a souvent senti la poudre dans notre pays vendeur d'armes. Cette fois, il a un parfum de sang. L'affaire Karachi ne saurait être étouffée.
mercredi 24 novembre 2010
Le parfum de sang de l'affaire Karachi
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