TOUT EST DIT

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mardi 16 novembre 2010

Le roi dollar est nu

La Grèce hier, l'Irlande aujourd'hui, le Portugal demain, l'Espagne ou peut-être la France après-demain… La tornade des dettes publiques n'a pas fini de souffler sur les pays de l'euro. Il faut bien sûr tenter de s'en protéger. Mais, à vrai dire, cet événement dramatique ne pouvait pas se produire à un meilleur moment. Car il repousse les vents d'un cyclone encore plus impressionnant, qui aurait pu faire s'envoler la monnaie unique et ravager ainsi l'industrie du Vieux Continent. Ce cyclone vient du dollar. Et les masses d'air chaud en jeu sont telles qu'elles pourraient provoquer l'effondrement monétaire mondial auquel nous avons jusqu'à présent échappé.

Comme souvent, une décision déclenche la tempête, ou plutôt la prise de conscience de la tempête à venir. Dans le cas de l'Irlande, c'est une décision technique - un appel de marge de la chambre de compensation LCH.Clearnet. Dans le cas des Etats-Unis, c'est une décision politique - l'engagement de la banque centrale, la Réserve fédérale, d'acheter 600 milliards de dollars d'obligations publiques dans les mois à venir. Sur les marchés des changes du monde entier, cette annonce a été interprétée comme la promesse d'un nouveau déversement de billets verts sur une planète qui en est déjà gorgée. Et donc comme le présage d'un affaiblissement du dollar. Du coup, les critiques sont venues de partout. Jamais les Etats-Unis n'ont été autant réprouvés pour la gestion de leur devise, qui est aussi la monnaie du monde. Le président Barack Obama s'est senti obligé de prendre la défense de sa banque centrale, à New Delhi, et il s'est retrouvé dans les cordes au G20 de Séoul. Un scénario inimaginable il y a seulement deux ans, mais qui fait étrangement penser à la fameuse conférence de Londres en 1933. N'ayant pas fait le voyage vers la capitale britannique pour éviter de se retrouver dans la position d'accusé, le président Franklin Roosevelt fit échouer le sommet par téléphone en refusant toute négociation sur la stabilité des monnaies, après avoir dévalué le dollar de 40 % !

Ben Bernanke, le patron de la Fed, estime pourtant que son nouvel « assouplissement monétaire », pour reprendre cet euphémisme désignant le redémarrage de la planche à billets, est parfaitement justifié. La banque centrale américaine doit veiller à la fois à la stabilité des prix et au plein-emploi. Or aucun de ces objectifs n'est atteint. Les prix menacent de baisser et le chômage de monter encore. Il fallait donc agir. Bernanke remet de l'argent dans le système pour « reflater » l'économie. Il agit selon les préceptes de l'économiste Irving Fisher, dans son célèbre article de 1933, « The Debt Deflation Theory of Great Depressions » : « Il est toujours économiquement possible d'arrêter ou de prévenir une telle dépression en "reflatant" le niveau des prix jusqu'au niveau moyen où les dettes actuelles ont été contractées. »

Sa décision aura toutefois des effets très incertains sur l'économie américaine. Beaucoup d'experts doutent. En revanche, elle exerce un effet certain sur le dollar : sa dépréciation. Ben Bernanke peut difficilement ignorer la question. Dans un discours célèbre prononcé en 2002, il s'était référé à la dévaluation de 1933, qualifiée après moult précautions oratoires d' « arme efficace contre la déflation ». Cette fois-ci, les protestations sont venues aussi bien de la Chine que du Japon, du Brésil ou de l'Europe. Le FMI pourrait être appelé à donner son avis sur la question. L'article XV de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, repris dans les statuts de l'Organisation mondiale du commerce qui lui a succédé, permet en effet à un pays qui s'estime lésé par des dispositions en matière de change de saisir l'OMC, qui doit alors consulter le FMI.

C'est vers un autre économiste, Robert Triffin, qu'il faut se tourner pour comprendre ce qui se joue en ce moment. En 1960, Triffin a expliqué la situation au Congrès américain : la planète a besoin d'une Amérique en déficit pour être alimentée en liquidités. Cette fabrication permanente de dollars finira cependant par éroder la confiance dans le billet vert, qui sera alors rejetée comme monnaie du monde. Triffin avait raison. La surabondance de dollars dans les années 1960, rudement critiquée par le général de Gaulle, qui parlait de « privilège exorbitant », a fait sauter le lien fixe entre métal jaune et billet vert en 1971. Dans un monde sans ancrage monétaire, la devise américaine reste un refuge - on l'a bien vu à l'automne 2008. Mais la surabondance des années 2010, bien plus forte qu'il y a un demi-siècle, risque de faire sauter le dollar lui-même.

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