TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

mardi 16 novembre 2010

La Turquie, un émergent près de chez vous


Vous avez aimé les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), ces grands pays émergents censés donner un coup de vieux aux Occidentaux englués dans la stagnation. Vous allez adorer les « Civets » ; ce sigle, inventé par la banque Goldman Sachs l'été dernier, désigne non pas la traditionnelle recette de viande mijotée aux oignons et vin rouge, mais six pays (Colombie, Indonésie, Vietnam, Egypte, Turquie et Afrique du Sud) à la population jeune, en forte croissance, assez stables politiquement, ouverts aux investisseurs étrangers et à la main-d'oeuvre industrieuse. Les Bourses de trois d'entre eux ont réalisé les meilleures performances mondiales depuis le 1 er janvier, avec un gain (en dollars) de 49,8 % pour la Colombie, de 56,7 % pour l'Indonésie et de 40,8 % pour la Turquie.
Cette dernière figure déjà parmi les treize principales économies de la planète. Son PIB a enregistré au deuxième trimestre une croissance de 10,2 % en rythme annuel (après, il est vrai, une sévère récession en 2009), dépassée seulement par la Chine. Ce qui, à la fois, pose un léger problème et ouvre de superbes perspectives à l'Union européenne. Comment continuer à bloquer l'adhésion de la Turquie, tout en tirant pleinement parti d'un marché fort de 77 millions d'habitants, à trois heures de vol de Paris ? Il était plus facile de la snober il y a une décennie, quand elle était un « panier percé » affichant une inflation à trois chiffres, tenue à bout de bras par le Fonds monétaire international - la Turquie a fait l'objet de 24 plans d'aide du FMI, un record.
Renvoyer ce pays, qui sur le plan géographique n'est certes pas européen mais dont l'histoire l'est indubitablement, à un supposé destin oriental était un pari diplomatique. Cela devient un risque économique. Les dirigeants tentés, à l'image de Nicolas Sarkozy, d'être inflexibles à cause des menaces, réelles, sur l'Etat de droit et la liberté d'expression en Turquie, et du fait que 95 % de son territoire se situe au-delà du détroit du Bosphore, auront peut-être de plus en plus de mal à oublier qu'elle représente un débouché équivalent à celui de la Chine pour les exportateurs européens. En passe d'être plus peuplée que l'Allemagne, la Turquie compte une classe moyenne dont le pouvoir d'achat a doublé en une décennie et qui pourrait, sur la base de la croissance actuelle, rejoindre la moyenne de l'Union d'ici à 2020. Ankara constitue désormais le septième partenaire commercial des Vingt-Sept et figure parmi les ténors mondiaux du verre plat, des écrans de télévision, du ciment, du textile ou de l'équipement ménager. Son secteur bancaire a été nettoyé et ses firmes de BTP raflent les chantiers aux quatre coins de la planète. Quant à la situation macroéconomique, elle ferait bien des envieux dans l'Union ; la dette publique a été ramenée en dix ans de 120 % à 47 % du PIB et le pays se conforme désormais à la plupart des critères de la zone euro, que les membres de cette dernière ne remplissent d'ailleurs plus…
Pourtant, il ne suffit pas d'être un client-fournisseur de premier plan pour que les obstacles politiques s'évaporent. La Commission européenne a réitéré la semaine dernière ses objections à l'adhésion de la Turquie, notamment du fait que la normalisation avec Chypre (la partie nord de l'île est occupée par les troupes turques depuis 1974) n'avance pas. Ankara refuse d'ouvrir comme promis ses ports aux navires des Chypriotes grecs, qui, il est vrai, bloquent un engagement européen d'autoriser les échanges commerciaux avec la Chypre du Nord. Conséquence de l'opposition de Chypre, mais aussi de la France (pourtant deuxième investisseur étranger dans le pays) et de l'Allemagne, malgré l'influence de la diaspora turque, seuls 18 chapitres de négociation sur 35 ont été ouverts, cinq ans après le début des discussions avec l'UE. En ces temps de doute sur le modèle « multikulturel », comme dirait Angela Merkel, la grande objection inavouée des chancelleries européennes à l'adhésion demeure l'impossibilité supposée d'intégrer le cinquième pays musulman de la planète dans un espace de tradition chrétienne. La Turquie fait valoir qu'elle est profondément laïque (les femmes y ont eu le droit de vote avant les Françaises) et que l'islamisation de la société menée par le parti AKP au pouvoir demeure modeste, équivalant peu ou prou à la présence des crucifix dans les salles de classe en Italie. Elle fait miroiter sa position de pont entre l'Orient et l'Occident, ce qui rappelle justement à quel point elle se situe dans une zone pas très tranquille ; après son adhésion, l'Union aurait une frontière commune avec l'Irak, l'Iran et la Syrie.
En outre, « l e dynamisme économique turc souffre de quelques failles  », souligne Seyfettin Gürsel, professeur d'économie à l'université Bahçesehir. Sa balance des paiements très déficitaire est financée par l'afflux d'investisseurs internationaux que l'on sait faciles à effaroucher. La productivité progresse peu et la main-d'oeuvre, avec un SMIC à 560 dollars, s'avère trois fois plus chère que celle des concurrents des BRIC ou des autres Civets.
A défaut d'adhésion, proposer un partenariat privilégié ressemblerait trop à un lot de consolation, guère de nature à séduire un pays profitant depuis 1996 d'une union douanière avec l'Europe (dont l'agriculture est toutefois exclue). Pour autant, la Turquie est-elle vraiment sincère dans son désir d'adhésion ? L'Union, qui fournit les deux tiers des investissements internationaux, constitue surtout un excellent prétexte pour justifier les réformes modernisant le pays, comme on l'a vu sur le dossier kurde, expliquent les connaisseurs de la vie politique locale. Et les Turcs, volontiers nationalistes, n'ont peut-être pas réalisé à quel point le projet européen impose de compromis tortueux et de normes bureaucratiques dans les moindres aspects de la vie quotidienne...

0 commentaires: