TOUT EST DIT

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mercredi 20 octobre 2010

Austérité et planche à billets, le cocktail amer de Cameron

C'est parti. En dépit de l'énorme résistance des ministères, des premières menaces de grèves et des violentes critiques d'économistes de tous bords, George Osborne, le chancelier de l'Echiquier britannique, a tenu bon. Comme il l'avait prévu en juin, en annonçant son programme d'austérité, il va bien détailler aujourd'hui les mesures visant à réduire de 83 milliards de livres (près de 95 milliards d'euros) le train de vie de l'Etat, et ce en seulement cinq exercices fiscaux. Le budget britannique atteignant un peu moins de 700 milliards de livres, cette économie, qui va ramener le poids de l'Etat dans l'économie à son niveau de 1999, est considérable. Elle va concrètement affecter la vie de millions de personnes : les quelque 600.000 d'entre elles qui vont perdre leur travail de fonctionnaire ; les familles nombreuses de chômeurs, puisque les prestations sociales d'un foyer ne pourront désormais jamais dépasser 26.000 livres par an, soit le salaire moyen des familles ayant un travail en Grande-Bretagne. Les classes moyennes, qui forment la base de l'électorat conservateur, seront elles aussi touchées, car les plus riches d'entre elles ne recevront plus d'allocations familiales. Et ce n'est pas tout : pour que le budget soit à l'équilibre à la fin du quinquennat du Premier ministre, David Cameron, des hausses d'impôts de quelque 29 milliards sont également prévues. Mais pour George Osborne, qui est apparu étonnamment serein à la télévision ce week-end, pas question de reculer. Pour lui, un plan B serait même illégitime, puisqu'en cas de dégradation de l'économie, la première raison de s'inquiéter pour le Royaume-Uni serait de savoir comment il va réduire son déficit, le plus élevé des pays riches, et rassurer les investisseurs internationaux.
Il est vrai que les grands patrons sont sortis lundi de leur réserve pour le soutenir. George Osborne a par ailleurs devant lui une nation disciplinée, qui soutient l'effort de rigueur. On ne prend pas beaucoup de risques en disant qu'un tel programme d'austérité aurait paralysé la France. D'autant qu'il s'accompagne d'une réorganisation drastique de pans entiers de l'administration britannique : le système de santé sera géré par les médecins généralistes, l'université risque d'être libéralisée, le « welfare state » est chamboulé pour inciter au travail…
Pourtant la pression est énorme sur le chancelier. Maintenant que l'heure de vérité approche, les économistes, qui craignent moins un retour à la récession qu'une croissance molle, sont de plus en plus nombreux à penser qu'il ne servait à rien d'aller si vite dans le rééquilibrage des comptes publics pendant une période aussi atone pour le commerce mondial. Agacés de voir leurs arguments taxés du terme péjoratif de « néokeynésianisme », certains économistes n'ont pas de mots assez durs contre le parti pris du gouvernement, convaincu que le secteur privé supplantera le secteur public à mesure que ce dernier perdra du poids. Le fameux « crowding out » -c'est-à-dire le phénomène d'étouffement de l'initiative privée par le secteur public -n'existe que quand la croissance de l'économie est proche de son potentiel maximal et lorsque le chômage est bas, explique le professeur Robert Skidelsky. Chroniqueur au « Financial Times », Martin Wolf estime de son côté qu'il n'y a pas plus de légitimité à transmettre aux générations qui viennent une économie atrophiée qu'une économie surendettée. Pas de doute : en cas d'échec, la réaction contre le gouvernement sera violente.
Même si George Osborne assure publiquement refuser d'envisager un plan B, il a néanmoins des raisons de penser que la cure d'austérité peut être diluée si nécessaire. Un ministre libéral-démocrate déclarait récemment que le plan de rigueur n'était pas « attaché au mât ». Ce fut la première ouverture publique en faveur de plus de flexibilité. « Le rythme de réduction des déficits espéré par le précédent gouvernement satisfaisait déjà les marchés, explique Simon Hayes, économiste chez Barclays. Le gouvernement dispose donc d'une marge de manoeuvre pour le ralentir. » Pour beaucoup d'économistes, réduire le rythme de diminution des dépenses en cas de problème n'est pas la solution alternative préférée de ce gouvernement, car il a mis sa crédibilité en jeu sur le « redimensionnement » de l'Etat, une approche typiquement conservatrice. En revanche, baisser les impôts ou retarder les hausses programmées pourrait le satisfaire davantage. Rachel Lomax, ancienne numéro deux de la Banque d'Angleterre, estime ce scénario tout à fait possible. Retarder le relèvement de la TVA à 20 %, ou baisser l'impôt sur le revenu sont des options envisageables, selon elle.
Mais la solution de secours la plus souvent envisagée est une remise en marche de la planche à billets. Pour Rachel Lomax, le recours à la Banque d'Angleterre pour stimuler la demande en cas de problème est « implicite » ces temps-ci. D'ailleurs, David Cameron ne s'est-il pas présenté lors de sa dernière conférence de presse comme « un conservateur fiscal et un activiste monétaire » ? On ne peut pas parler de perte d'indépendance de la Banque d'Angleterre puisque son gouverneur Mervyn King, a obtenu la rigueur qu'il appelle de ses voeux, mais on voit s'esquisser une certaine répartition des tâches entre l'institut d'émission et le gouvernement. Ce dernier diminue le poids de l'Etat quand le premier assouplit la politique monétaire pour compenser. Au risque de créer de l'inflation. Celle-ci, supérieure à 3 %, est déjà plus élevée en Grande-Bretagne que dans le reste de l'Europe.
Beaucoup de décideurs économiques du Vieux Continent rêveraient de ce partage des rôles, dont les prive, estiment-ils, la Banque centrale européenne. Cela dit, si l'« assouplissement quantitatif » est un instrument qu'il est rassurant d'avoir, il n'est pas la panacée, encore moins en période de croissance molle qu'en période de vraie crise. On ne sait pas exactement en quoi cela aide à relancer l'économie, met en garde Rachel Lomax. On sait en revanche que cela fait gonfler les bulles.

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