Quand j'étais à Grenoble, les AG, c'était autre chose", s'étonne Andy, étudiant en troisième année de gestion et contrôle des entreprises, qui revient d'un blocage organisé dans la matinée dans le sud de la ville. L'amphi "Archimède" de l'université Lille-I a beau porter, sous forme de graffitis muraux, les traces des conflits étudiants des années précédentes, il peine à se remplir pour l'assemblée générale (AG) qui doit décider de la participation des étudiants au mouvement contre la réforme des retraites.
Les étudiants arrivent cependant peu à peu. Mais la prise de parole est difficile. Les militants de l'UNEF et de SUD-Etudiants évoquent les mouvements dans les autres universités françaises, exhortent les présents à se mobiliser, "par solidarité pour les salariés qui, eux, paient les jours de grève de leur poche". Une déclaration applaudie mollement.
LES LYCÉENS "ONT PLUS DE COURAGE"
La discussion s'engage autour du mouvement des lycéens. "Ils ont plus de courage que nous, au moins ils osent s'engager", estime une étudiante. "Comment voulez-vous que les jeunes soient pris au sérieux si chaque manif donne lieu à des violences et à des débordements", réplique une autre. "En face de nous, on a un gouvernement violent, c'est son intérêt que les choses dégénèrent", estime un troisième.
Les organisateurs rappellent l'audience à l'ordre. Il s'agit de définir une plate-forme de revendications et des modalités d'action. Un blocage de l'université ? La question fait débat dans la salle : Le CPE en 2006, la réforme LRU de 2007... les étudiants ont usé et abusé de l'arme du blocage, au risque de se couper de ceux qui désiraient aller en cours. "Le gouvernement n'en a rien à faire, qu'on bloque", estime un jeune homme, très applaudi. "Il vaut mieux occuper les rues tous les jours", juge un autre. Andy semble soulagé : "heureusement qu'ils n'ont pas appelé au blocage, j'aurais voté contre. On n'est pas assez nombreux, je n'ai pas envie de me faire allumer."
"ON A VOTÉ LA GRÈVE, D'ACCORD, MAIS JE DOIS Y ALLER, J'AI UN TD"
Les revendications se basent sur l'appel de Nantes, lancé le 12 octobre par un collectif d'organisations de jeunesse : retour à la retraite à 60 ans à taux plein après 37,5 années de cotisation, prise en compte des années de chômage et d'études dans le calcul des annuités... On est bien loin du projet alternatif à la réforme présenté par le PS, très critiqué dans l'amphi. "On part dans tous les sens là, passons au vote, il faut qu'on ait fini avant de rejoindre la manif à 14 heures", coupe Bastien, militant UNEF et modérateur des débats. Vote, donc : 165 pour, 13 contre, 16 abstentions, la plate-forme est adoptée.
Elle comprend le principe d'une "grève reconductible". Le terme déclenche un brouhaha général. "On vote la grève, d'accord, mais moi il faut que j'y aille, j'ai un TD", lance un étudiant en se levant. "Le contrôle continu nous empêche de faire grève", estime un autre. Beaucoup veulent attendre l'assemblée générale, prévue jeudi, avec les personnels de l'université, pour avoir l'assurance qu'ils bénéficieront d'exemptions. Reste à voter des points de détails, comme le nom de la coordination du mouvement : "'AG de lutte', ou 'Comité de mobilisation'" ? C'est le premier qui l'emporte. "Ça fait plus populaire", s'amuse Andy.
Tout le monde est appelé à se rassembler pour partir à la manifestation ensemble. Au final, seule une poignée de militants et d'étudiants monte dans le métro en direction du centre. "C'est compliqué de mobiliser, reconnaît Antoine, syndicaliste étudiant. Nos organisations ont mis longtemps à se bouger, et il faut du temps pour mettre en place un mouvement. J'espère que ça prendra. Tout va se jouer dans les prochaines AG." Même constat pour Bastien, membre, lui, de l'UNEF : "C'est difficile. Les étudiants sont rentrés en cours plus tard, ils sont moins mobilisés que les lycéens." Pour lui, pourtant, tout reste possible : "Il y a un ras-le-bol général, les jeunes en ont assez d'être les laissés-pour-compte permanents. On sera la première génération à vivre moins bien que nos parents."
"IL Y A UN DÉBUT DE MOUVEMENT"
Dans le cortège qui se rassemble, porte de Paris, à 14 heures, les quelques dizaines d'étudiants sont presque noyés au milieu des centaines de lycéens, venus en force. Certains ont dressé à la hâte une bannière "Lille-I en lutte". Les membres de l'UNEF ou de SUD se placent devant les lycéens et forment une chaîne pour les canaliser. Tâche ardue. "C'était la première AG, mais il y a un début de mouvement", veut croire Anne-Lise, étudiante à l'Institut d'études politiques, qui promet que "des choses sont prévues après les vacances" de la Toussaint, sur lesquelles compte le gouvernement pour casser le mouvement.
Mathieu, Barbara et Rémi, élèves ingénieurs, croient aussi que tout est possible. "C'est au-delà de cette réforme, un mouvement d'opposition globale. Il faut une grève générale. On ne gagnera peut-être pas, cette fois, mais à force, on y arrivera", explique Mathieu. Et lorsque la réforme sera votée, comme tout semble l'indiquer ? "Cela ne change rien. Rappelez-vous le CPE", assurent-ils.
Un combat gagné, en 2006, par le mouvement étudiant. L'histoire se répétera-t-elle? Maître de conférences en sociologie et déléguée syndicale SnesUp (syndicat d'enseignants du supérieur), Laurence Le Douarin assure que rien n'a été fait pour dissuader les étudiants de manifester. Elle comprend cependant leur difficulté à se mobiliser : "Ils sont extrêmement inquiets du chômage, ils ont peur de leur avenir." Pourtant, assure-t-elle, "ils viennent souvent de milieux populaires, ils voient leurs parents arriver à 60 ans épuisés par le travail, ils comprennent très bien les enjeux de cette réforme, surtout dans cette région" du Nord où l'emploi industriel est dominant. "Eux, rappelle l'universitaire, ils vont sortir de fac à 25 ans, et ils n'auront un CDI qu'à 29 ans en moyenne. Cela signifie qu'ils devront cotiser jusqu'à 70 ans. Evidemment qu'ils ont leur mot à dire sur cette réforme".
mercredi 20 octobre 2010
La difficile mobilisation des étudiants lillois
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