Il y a une quinzaine d'années, je me souviens de cours
d'histoire-géo où l'on essayait de m'expliquer qu'un des malheurs de la
France, c'était la "fuite des cerveaux"...
Pensez-donc, quels sans-cœurs ces vilains forts-en-thème qui s'en vont prêter leurs services à de vils gouvernements étrangers
voire, comble de l'horreur, à des multinationales apatrides qui les
attirent loin de leur terre natale en les corrompant avec des salaires
mirobolants. J'exagère ? Oui, sans doute, mais à peine.
Je suis maintenant probablement entré dans la catégorie des
"cerveaux" sus-citée. C'est un peu prétentieux de dire ça comme ça, mais
c'est assez probable : de par mes diplômes et mes expériences, je peux
en effet sans condescendance déplacée me compter parmi ces personnes sur
qui la Nation compte pour créer, inventer, entreprendre.
Et vous allez rire, mais à même pas 30 ans j'ai déjà quitté la France, probablement définitivement.
Oh, non pas parce qu'un gouvernement ou une multinationale m'a proposé
un salaire indécent avec villa, hôtesses et champagne à volonté tous les
soirs, je suis parti sans avoir offre d'emploi au préalable. Non pas
parce-que je n'aime pas la France, elle qui est si riche de toutes ses
cultures, ses identités, ses paysages, son histoire, je sais que ce sera
très difficile de replanter mes racines ailleurs. Non pas parce-que
j'ai gagné au loto ou hérité et que je déménage dans un paradis fiscal
pour installer ma piscine de pièces d'or à l'abri de l'ISF, ma fortune
personnelle actuelle ne me permettant même pas d'atteindre l'ancien
plafond du livret A. Non, rien de tout cela, comme beaucoup.
Si l'on considère mes revenus et mon patrimoine au moment de mon
départ, la France n'a pas perdu grand-chose à court terme en me voyant
partir : c'est peut-être la raison pour laquelle on me répondait "Eh
bien casse-toi, alors" quand je m'ouvrais à certains de mes concitoyens
sur mes doutes et interrogations concernant le futur de mon pays.
Ce qu'on ne comprenait pas en m'invectivant de la sorte, c'est que ma
richesse n'est probablement pas sur mon compte en banque : elle est
dans ma tête, dans ma volonté d'entreprendre, de créer une activité à
partir de quelques idées qui peuvent marcher et, satisfaction ultime, de
pouvoir en faire vivre des employés. Sauf que le jour où, ayant
décroché mon premier job, j'ai reçu ma première feuille de paye, j'ai
compris qu'il y avait peu de chances pour que je crée quoi que ce soit
en France.
Quand le salarié ne reçoit sur son compte - avant impôts sur le revenu - que la moitié de ce que l'entreprise dépense pour lui, c'est-à-dire la moitié de la valeur qu'il génère effectivement, ça vous passe l'envie de faire vivre des employés
et de leur donner un bon salaire. Quand les chefs d'entreprise qui
réussissent sont considérés partout comme des profiteurs, exploiteurs,
parasites ou même publiquement insultés
et ceux qui échouent sont méprisés voire accusés d'office de fraude à
la TVA à la liquidation de leur affaire, ça vous passe l'envie de
prendre des risques. Quand vous vous rendez compte que plus de la moitié
de ce que vous produisez est prélevé sans que vous ayez votre mot à
dire pour combler les puits sans fond de la sécu, des caisses de retraite et j'en passe, ou simplement pour payer les intérêts d'une dette
que vous n'avez pas contractée ni souhaité contracter, ça vous passe
l'envie de gagner mieux votre vie et voir encore et toujours plus
d'impôts partir en fumée. Quand un gouvernement s'estime en droit de s'approprier 60% de la valeur créée par votre activité
lorsque vous la revendez, cela vous passe l'envie de bosser 12h par
jour et de mettre de côté votre vie de famille pour ne récupérer que
quelques miettes lorsque vous décidez de passer le relais à quelqu'un
d'autre. Quand vous voyez que le budget annuel de l’État prévoit des
dépenses jusqu'à 90% supérieures aux recettes
sans jamais ne serait-ce qu'espérer approcher l'équilibre, ça n'est pas
encore au point de vous passer l'envie de faire des enfants mais vous
pensez à votre descendance, qui n'aura rien demandé mais pâtira d'une
manière où d'une autre des erreurs commises au nom de tous par les élus
actuels.
Je quitte la France parce qu'il est hors de question que mes enfants
soient considérés comme redevables des dettes que ni mes parents, ni moi
n'avons contractées. Parce qu'il est on ne peut plus injuste que leur
avenir soit sacrifié sur l'autel des fantasmes de politiciens de droite ou de gauche
qui croient que l'on peut indéfiniment acheter des voix à crédit. Parce
que lorsque quelqu'un réussit en France en dépit des innombrables
taxes, impôts, réglementations, administrations en tous genres, il n'est
plus considéré comme un citoyen ordinaire mais comme un esclave dont le
devoir est de porter le reste de la société laquelle, non contente de
profiter de sa réussite, la jalouse et la considère comme un dû. Parce
que je sais que si j'étais resté en France, je serais puni pour le
simple fait de créer de la richesse, puni parce que j'inventerais, je
créerais, je concevrais, je fabriquerais. Puni pour le bien que
j'apporterais à la société.
Je suppose que dans les classes d'histoire-géo des collèges et lycées
français, on parle encore de "fuite des cerveaux" sans rien comprendre.
Et que l'on va en parler encore longtemps...
lundi 1 octobre 2012
Fuite de cerveau
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