Acteur du capital-investissement, je ne suis pourtant pas obsédé par le gain financier. Il est, pour moi, simplement un "thermomètre" de la valeur créée. Quand une PME de croissance est rachetée par un groupe plus important et que ses actionnaires -fondateurs, salariés détenteurs de bons de souscriptions, business angels et investisseurs professionnels- réalisent une plus-value après 10 ans de développement, de hauts et de bas, de challenges relevés visant à la concrétisation d'une vision au départ quasi-utopique, je suis un homme heureux. Je constate avec un plaisir immense combien "collectivement" nous avons créé de la valeur économique traduite à la fois en emplois pérennes et en capital disponible pour être consommé ou ré-investi ailleurs... Bien faire mon job, c'est accompagner ce type d'histoires: le verdict financier est donc simplement une façon objective de mesurer la performance...
Devant mon éducation académique à la France, je suis également un contribuable finalement pas si mécontent que cela de payer des impôts. A part l'emploi d'une nounou à domicile (IRPP) et l'investissement dans des PME (ISF), je n'ai jamais utilisé d'autres niches fiscales. J'ai toujours préféré payer des impôts plutôt que de prendre le risque d'enrichir des intermédiaires dans les DOM-TOM et je n'ai jamais pensé à acheter une oeuvre d'art ! Je trouve que l'ISF est un impôt idiot mais cela ne me choque pas tant que cela de payer une taxe (0.5%-1%) sur mon patrimoine "dormant" (immobilier et épargne). Je trouve la progressivité de l'IRPP assez juste à condition que le taux marginal ne soit pas confiscatoire...
Lors de la préparation à la loi de finances 2013, après un débat superficiel (voire démagogique) lors des élections présidentielles, la France du business s'est arrêtée de respirer. Les investissements et les embauches ont été gelés par la plupart des acteurs économiques. Les articles de la presse économique ont alterné entre "annonce d'une potentielle décision totalement mortifère du point de vue économique" (exemple: mettre le patrimoine professionnel dans l'assiette de l'ISF) et "maintien d'incitations fiscales initialement menacées de rabotage fatal" (exemple: ISF PME). Retenant mon souffle comme tout un chacun, observant l'égrenage d'arbitrages annoncés, démentis puis confirmés par la presse, je me suis dit qu'il y avait, parmi les différentes décisions prises, des décisions "purement politiques" sans grand impact économique ou fiscal (exemple: tranche à 75%) mais que les décisions "économiques" étaient finalement bien prises à l'aune de la création d'emplois et de la restauration de la croissance dans notre pays. La confirmation du maintien des dispositifs type ISF-PME ou JEI pour les PME innovantes allaient bien dans ce sens. J'étais rassuré, me voilà pourtant dépité...
La France des entrepreneurs a bien compris l'exercice extrêmement périlleux auquel sont confrontés nos dirigeants politiques. La combinaison d'une mondialisation économique démontrant jour après jour la non compétitivité d'une grande partie de notre économie et du phénomène démographique qui voit des millions de baby-boomers partir à la retraite en pleine santé est terrible. Un pays ne peut pas durablement s'endetter pour payer ses factures courantes ou la retraite de ses fonctionnaires. La nécessité de rétablir des finances publiques saines est incontestable. Pour ce faire, il faut faire réussir 3 choses à la fois:
• réduire les dépenses publiques: grand chantier auquel personne ne semble véritablement s'attaquer
• augmenter les recettes fiscales de façon juste et efficace
• permettre un redémarrage de la croissance économique qui générerait à la fois un surplus de recettes fiscales et des économies dans la dépense collective (exemple: allocations chômage)
C'est compliqué, très compliqué même...
Le troisième point, pourtant largement mis en avant lors de sa campagne électorale par notre nouveau Président, doit cependant être bien appréhendé. La croissance ne crée pas d'emplois, c'est l'emploi qui crée la croissance. C'est très basiquement parce qu'il y a production de produits ou de services par des gens qui travaillent que le PIB augmente... Cette erreur d'inférence (dont les médias et hommes politiques sont coutumiers) rêvant d'une croissance qui arriverait magiquement (tel un coin de ciel de bleu qui remplacerait les nuages) est sans doute à la base des très mauvaises décisions qui sont en train d'être prises sur un plan fiscal...
Je ne serai pas le n-ième blogueur à expliquer l'aberration d'un ISF à taux marginal de 1.8% avec un bouclier fiscal à 75% (ou 80%). Ceux qui veulent ou doivent partir pour fuir l'ont fait ou vont le faire. Ceux qui ont un ratio revenu annuel / patrimoine personnel élevé (> 5%) le paieront en râlant. Seront surtout fortement lésés les personnes aux revenus incertains ou volatiles et la fameuse veuve de l'Ile de Ré... Bref, passons.
Je voudrais plutôt parler ici de l'alignement de l'imposition des revenus du capital avec ceux du travail qui conduira, par exemple, un entrepreneur cédant son entreprise après 10 ans de labeur, d'incertitudes, de hauts et de bas, de semaines de 70 heures... à payer 45% (taux marginal de l'IRPP) +15,5% (CSD/CRDS) soit plus de 60% sur la plus-value de cession. Nous sommes ici dans le dogme anti-capitaliste, l'anti-économique, le «brisage de rêve», la démotivation quasi-sadique, le "je-ne-sais-quoi-qui-donne-la nausée"...
• un investissement dans l'immobilier qu'il soit social, locatif, secondaire génère peu d'emplois. Un peu pour construire, rénover et entretenir mais l'essentiel du capital va au foncier qui ne produit rien.
• un investissement dans l'art maintient quelques emplois de marchands d'art mais l'essentiel va dans la poche du vendeur. Un tableau dans un salon, une salle d'attente ou un coffre-fort ne participe pas au PIB!
• l'achat d'actions du CAC40 (via un PEA ou non) ou la souscription d'OAT (via un contrat d'assurance-vie) ne crée pas non plus d'emplois!
• à l'inverse, un investissement dans une PME de croissance (et c'est particulièrement vrai pour les PMEs du numérique) va pour l'essentiel en salaires pour payer des collaborateurs qui travaillent, produisent et génèrent du PIB ... (et, en sus, paient des charges sociales et des impôts...)
Taxer le capital investi dans une PME de croissance plus que l'immobilier, l'art ou des placements de père de famille, c'est totalement nier cette contribution à la croissance que nous recherchons. Taxer ce capital comme le travail c'est nier à la fois le risque pris (on peut tout perdre si l'entreprise connait des difficultés) et l'illiquidité associée (les business angels ou investisseurs en capital restent souvent 7-10 ans au capital des entreprises).
Passer brutalement d'une taxation de 19+13,5=32,5% à 45+15,5=60,5% (voire plus si la CSG augmente encore et si on y ajoute des contributions exceptionnelles), c'est léthal et cela signifie condamner à mort l'économie et la croissance de notre pays!
• Quel entrepreneur peut accepter de mettre une grande partie de ses économies à risque et la quasi-intégralité de son temps pendant de nombreuses années quand il anticipe que plus de 60% de la valeur actionnariale créée ira à l'Etat dans le cas improbable (et pourtant à la base de sa motivation) où son aventure entrepreneuriale serait un succès?
• Quel investisseur peut continuer de financer et accompagner l'entrepreneur s'il sait que, s'il a eu la main heureuse, qu'il attend un temps totalement indéterminé et que les étoiles s'alignent, plus de 60% de sa plus-value sera préemptée?
• Quelle croissance peut-on générer sans entrepreneur et sans investisseur?
Une fiscalité qui ne tient pas compte du potentiel de création d'emplois, du risque et de l'illiquidité est une fiscalité aveugle, démotivante, démobilisante, destructrice de valeur... bref "anti-économique et anti-croissance"!
Si ce maelstrom fiscal est confirmé, la suite des événements est assez claire: au lieu de reprendre embauches et développement du business, les actionnaires menacés par cette confiscation vont passer le dernier trimestre 2012 à imaginer les moyens d'y échapper. Les mieux armés trouveront les moyens parfaitement légaux de le faire: interpositions de holding Luxembourgeoise (ou autres) pour les personnes physiques, délocalisation des équipes de gestion à Londres pour les gros fonds d'investissement, projet de déménagement des sièges sociaux et des équipes de direction pour les PME à forte dimension internationale. Seuls les petits, les artisans-entrepreneurs et les artisans-investisseurs resteront sans solution immédiatement actionnable...
2013 ne sera pas plus favorable à la croissance: les nouveaux entrepreneurs incorporeront leur start-up à Londres qui leur déroulera le tapis rouge, les projets de délocalisation ou déménagement seront pour partie mis en oeuvre, les entreprises en recherche de fonds, lassées de faire la queue à la Banque Publique d'Investissement, iront, pour celles qui le peuvent, lever de l'argent hors de France et les autres entrepreneurs devront essayer de se partager l'argent disponible au travers du dispositif ISF-PME... Tout le monde imagine bien qu'alors ce ne sera pas "Broadway" en termes de création d'emplois !
Je comprends que Madame Pellerin et Messieurs Cahuzac et Moscovici entendent bien ce qui est décrit ci-dessus. Arriveront-ils pour autant à convaincre Monsieur Hollande? Notre nouveau Président acceptera-t-il de ne pas entraver (voire castrer) ceux qui, pourtant pas riches, veulent créer des emplois, générer de la croissance et peut-être un jour, s'ils sont chanceux, devenir... plus riches tout en restant résidents fiscaux dans notre cher pays?
Les entrepreneurs de France l'espèrent, la création d'emplois en France en dépend.
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