TOUT EST DIT

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samedi 5 février 2011

Rapatrié à Genève, le professeur d’égyptologie Philippe Collombert raconte

Philippe Collombert a quitté Le Caire avec ses deux étudiantes genevoises à bord d’un avion militaire portugais.
 
Philippe Collombert occupe la chaire d’égyptologie de l’Université de Genève. Le 6 janvier, il a pris ses quartiers sur le site archéologique de Saqqara, non loin du Caire, pour trois mois. Le temps de sa mission de fouilles dans la nécropole du pharaon Pépi 1er (2300 av. J-C), qu’il dirige.
Une mission que la prudence lui a commandé d’interrompre. Il avait en effet avec lui deux jeunes étudiantes genevoises (lire ci-dessous), un archéologue, deux dessinateurs et deux scientifiques français. Tous ont été rapatriés jeudi par un avion militaire portugais. Philippe Collombert raconte ce qu’il a vécu à Saqqara durant cette dernière semaine pour le moins mouvementée.

«Partis sans dire un mot!»
«Des amis égyptiens m’ont dit n’avoir jamais vu une telle situation, même lors du coup d’Etat militaire de Nasser en 1952…» Philippe Collombert est, lui, étonnamment calme, vendredi après-midi, dans un café genevois. Il vient pourtant de rentrer d’Egypte sur les chapeaux de roues.
«Lorsque nous sommes arrivés mercredi après midi à l’aéroport du Caire, à cause du couvre-feu, dans l’idée d’y passer la nuit et d’être sur place pour prendre notre vol Egyptair jeudi matin, il y avait un avion militaire portugais Hercule prêt à rapatrier des gens coincés au Caire. On nous a proposé gracieusement huit places à bord. Je me suis dit qu’il valait mieux sauter sur l’occasion!» L’équipe est arrivée sans encombre jeudi en Europe – cinq à Paris et trois à Genève – via Lisbonne. Après avoir vécu des événements pas banals.
«Pour nous, les choses ont commencé samedi matin vers 10 heures, avec l’arrivée d’un inspecteur du service des Antiquités égyptiennes», résume Philippe Collombert. «Il nous a demandé d’arrêter les fouilles. La police était partie, et notre sécurité n’était plus assurée.» Regagnant la maison que la mission française loue à l’entrée du site archéologique de Saqqara-Sud, à côté du poste de police, l’égyptologue constate que celui-ci est vide. «Ils sont en permanence vingt à trente. Tous partis sans dire un mot!»
Déferlement des pilleurs
Le site n’est plus gardé, le musée et les magasins où les archéologues rangent les objets sortis des fouilles non plus. «C’est alors que j’ai vu une chose inouïe se produire: les pilleurs se sont précipités. Cent, deux cents jeunes gens de 10 à 15 ans, venus des villages de Saqqara et d’Aboussir tout proches, ont déferlé par groupes de dix. Certains étaient armés de pistolets et tiraient en l’air pour faire partir les ghafirs (les gardiens). Profitant du chaos, ils espéraient trouver des trésors.» Volant les pelles, pioches et couffins des archéologues, ils se mettent à creuser frénétiquement chaque fois qu’ils devinent quelque chose sous le sable. «Ce sont des jeunes gens sans éducation. Ils pensent trouver là de l’or, des bijoux, le masque de Toutankhamon…»
Sur quoi ces pilleurs ont-ils réellement fait main basse? «Rien qui ait de la valeur à leurs yeux, rien qui soit monnayable, à ma connaissance. Mais il y a eu des dégâts. Les cadenas des magasins ont été forcés, des momies cassées, une tente contenant des poteries incendiée, des structures en brique brisées… Vous savez, nous avons une responsabilité dans cette affaire; nous devrions informer la population, expliquer la valeur scientifique de nos recherches. Je me promets de le faire, lorsque je fouillerai à nouveau en Egypte.» Ce dont il ne doute pas: "Ces fouilles françaises de Saqqara ont 50 ans cette année. Une fois que la situation sera calmée, les archéologues pourront revenir sur le terrain, j'en suis certain." Même confiance pour la mission de l'Université de Genève qu'il pilote également, en Haute-Egypte cette fois.
Ce qui stupéfie pourtant Philippe Collombert, c'est l'audace des jeunes pilleurs. "Lorsque l'armée s'est déployée sur le site dimanche et lundi, cela n'a pas empêché ces petits imbéciles de continuer à creuser. C'était incroyable! J'ai fait un tour dans le gebel avec les soldats; ils avaient un tank, posté sur une petite colline, braqué sur les gars; le colonel est descendu dans la plaine leur parler, leur dire d'arrêter, essayer de négocier. Tout ça ne les a absolument pas empêchés de continuer à creuser à la recherche d'objets précieux. C'était une scène totalement irréelle. Ils agissaient en complète impunité."
Une menace, et ils se seraient repliés dans les villages de Saqqara et d'Aboussir, se perdant dans le lacis des ruelles, cachés par les habitants. Une attaque de l'armée, et c'était toute la population qui aurait lynché les militaires. Philippe Collombert poursuit: "Ils me disaient: oui, prends nous en photo! encore, encore, continue! Ils chantaient l'hymne de la Coupe d'Afrique que l'Egypte a gagné l'an dernier..."
Même stupeur chez Christelle Alvarez et Noémie Monbaron: "Certains de ces jeunes gens ont travaillé avec nous sur les fouilles! La moitié formait une sorte de milice, protégeant le village et les habitants. Et l'autre moitié pillait les sites." Mardi, une voiture de police circulait dans les rues des villages proches des fouilles, menaçant de 15 ans de prison toute personne qui commettrait une déprédation ou un vol.
"Dans les magasins (les petits entrepôts où les archéologues mettent en lieu sûr les objets découverts lors de leurs travaux, ndlr), il y a eu des dégâts. Des momies, par exemple, ont été jetées par terre et cassées. Les pilleurs cherchaient des bijoux. C'est très triste bien sûr, mais ce n'est pas dramatique du point de vue scientifique. De telles momies, nous en trouvons une dizaine par année à Saqqara." Une belle voûte en briques a été brisée: "Nous l'avions laissée de côté pour la fouiller un peu plus tard, et voilà..."
Quelles autres déprédations le responsable de mission trouvera-t-il lorsqu'il reviendra en Egypte? Mystère. Philippe Collombert s'interroge: "L'armée est sur place. La police est revenue également. Mais comment connaître la suite des événements?"

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