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samedi 5 février 2011

Pourquoi le Yémen se soulève à son tour

Jeudi 3 février, des dizaines de milliers de manifestants défilaient dans les rues de Sanaa, capitale du Yémen, pour réclamer le départ du président Ali Abdallah Saleh, en place depuis 1990. Pressé par une semaine de protestation, le chef de l'Etat avait pourtant renoncé mercredi à briguer un troisième mandat, tout en faisant certaines concessions à l'opposition.

L'évolution de la situation rappelle inévitablement les révoltes populaires de Tunisie et d'Egypte. Pourtant, la population de ce pays de la péninsule arabique a des raisons bien particulières de se soulever.
  • La situation économique et sociale au cœur de l'agitation
Le Yémen, qui compte 24 millions d'habitants, est depuis longtemps frappé par la pauvreté et le chômage. "La variable économique est centrale dans les tensions actuelles", assure ainsi François Burgat, chercheur au CNRS et ancien directeur du Centre français d'archéologie et de sciences sociales de Sanaa (CEFAS).
Selon le programme de développement des Nations unies au Yémen, plus de 45 % de la population vit actuellement en dessous du seuil de pauvreté, fixé à deux dollars par jour. Le revenu national brut (en parité de pouvoir d'achat) s'élevait en 2009 à 2 330 dollars par an et par personne, un montant comparable à celui du Cameroun.
Cette pauvreté s'explique principalement par un chômage endémique. Selon la dernière estimation datant de 2003, 35 % de la population serait sans emploi. Ces conditions sont d'autant plus mal vécues par les Yéménites qu'à l'image de ses riches voisins de la péninsule, comme le Qatar et l'Arabie saoudite, le pays dispose d'importantes ressources en énergie.
Le Yémen, qui n'est pas membre de l'OPEP, produit en effet 300 000 barils de pétrole brut par jour. Les revenus liés à cette industrie représentent 25 % du PIB et assurent 70 % des finances de l'Etat. Le pays dispose également d'importantes ressources en gaz, à hauteur de 259 milliards de m3.

  • Un pouvoir durci depuis 1994
Les critiques de la rue se concentrent également sur le président Ali Abdallah Saleh. Les citoyens de la seule république de la région ont été témoins depuis plus de quinze ans d'un durcissement considérable du régime. Lors de l'unification du pays en 1990, sous l'égide de l'actuel président, le pouvoir était "à l'avant-garde de l'ouverture politique dans tout le monde arabe", explique François Burgat. "L'espace démocratique était alors largement ouvert", renchérit Franck Mermier, chercheur et connaisseur des arcanes de la politique yéménite.
Le soulèvement actuel ne peut avoir lieu que grâce à la culture du débat présente dans le pays depuis l'époque, lorsque le multipartisme et une réelle liberté de la presse étaient prônés par le pouvoir. Mais une guerre civile opposant sudistes et nordistes en 1994 a marqué un tournant dans la pratique du pouvoir du président Saleh.
La République du Yémen sombre alors dans de graves dérives démocratiques. La présidence interdit certains quotidiens, fait emprisonner des journalistes, tout en repoussant à plusieurs reprises les élections législatives. Ali Abdallah Saleh place également des membres de sa famille et de sa tribu d'origine à des postes-clés du gouvernement.
Le parti au pouvoir, le Congrès populaire général (CPG), prend aussi une ampleur démesurée. Ainsi, lors de l'élection présidentielle de 1999, Saleh ne fait face qu'à un seul adversaire, présenté comme indépendant mais pourtant membre de son propre parti. Sept ans plus tard, il est réélu avec 82 % des suffrages.
Dans ce contexte, auquel s'ajoutent des troubles internes (rébellion chiite au nord, mouvement séparatiste au sud, influence grandissante d'Al-Qaida dans le pays), les révoltes tunisiennes et égyptiennes ont joué le rôle de détonateur. Depuis mi-janvier, quatre personnes ont ainsi tenté de s'immoler par le feu, à l'image de Mohamed Bouazizi, dont le geste avait déclenché la révolution tunisienne de janvier.
  • Quelles seraient les conséquences d'un renversement?
Le départ anticipé du président Saleh entraînerait une période d'incertitude malvenue pour les pays occidentaux et notamment pour les Etats-Unis. Le Yémen, malgré son soutien à l'Irak de Saddam Hussein lors de l'invasion du Koweït en 1990, est en bons termes avec Washington. Un renforcement du poids politique de l'opposition, et notamment du parti islamiste Al-Islah, ne serait a priori pas vu d'un bon œil par les Etats-Unis.
En pratique, l'arrivée éventuelle aux affaires d'Al-Islah n'entraînerait pas les bouleversements que l'on pourrait craindre. "Une frange modérée du parti islamiste a même déjà participé à l'exercice du pouvoir jusqu'aux années 2000, au côté du président, sans que les relations du Yémen avec Washington en soient impactés", explique Franck Mermier.

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