Il devait en faire le cœur de son discours. S’appesantir au-delà des cent minutes. Finalement, Mahmoud Ahmadinejad a préféré jouer profil bas vendredi, et n’évoquer la situation en Egypte qu’à la fin de son allocution célébrant le 32e anniversaire de la Révolution iranienne.
Le départ tardif d’Hosni Moubarak, vendredi en fin d’après-midi, n’aura donc guère été utile au régime iranien. Profitera-t-il à l’opposition? "Nous avons été piqués au vif, plaisante cet habitant de Téhéran. On dit toujours que les Perses se croient supérieurs aux Arabes!" Alors la blogosphère a repris du service, très vite, et les deux leaders de la contestation iranienne, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, ont appelé à une contre-manifestation lundi, en soutien aux révoltes tunisienne et égyptienne. L’opposition a également refusé toute participation aux différents défilés organisés par le pouvoir à Téhéran et en province à l’occasion de cette commémoration de la Révolution islamique de 1979.
Arrestations et fermeture des moyens de communication
Un pouvoir qui ne lâche rien et qui a encore une fois serré la vis. Mehdi Karoubi est ainsi placé en résidence surveillée depuis jeudi soir. Seule sa mère est autorisée à le voir. Ses téléphones ont été coupés, y compris la ligne terrestre, ce qui est du jamais-vu. "S’il est assassiné dans sa maison, on n’en saura absolument rien", s’indigne cet Iranien. La BBC en farsi est également brouillée depuis jeudi. Les serveurs Internet ont déjà prévenu les usagers: plus de service à partir de dimanche soir. Plus de portables non plus. Une dizaine de membres ou proches de l’opposition iranienne ont aussi été arrêtés mercredi et jeudi.
Les autorités ont clairement fait savoir que l’autorisation de défiler sera refusée lundi. Comme c’est invariablement le cas depuis dix-huit mois. Mais l’Egypte a bousculé la demi-torpeur des manifestants iraniens. Et réveillé leur sens de l’humour. Sur une page Facebook d’un manifestant, une proposition: "Au lieu de hurler 'Allah akbar' sur les toits la veille de la manifestation comme à chaque fois, célébrons la Saint-Valentin qui tombe justement lundi et à nous les bises dans les rues de Téhéran!"
Ahmadinejad a senti le vent tourner
Il y a une semaine, le "guide suprême" de la révolution, Ali Khamenei, croyait voir dans la révolte égyptienne "un mouvement de libération islamique". Rival de l’Egypte, l’Iran considère le départ de Moubarak comme une occasion en or pour asseoir son hégémonie dans la région. Selon le Begin-Sadat Center for Strategic Studies, qui siège à Tel-Aviv, la république des mollahs aurait d’ailleurs déjà essayé de déstabiliser le pays des pharaons il y a deux ans, en envoyant des terroristes du Hezbollah via le Hamas de Gaza.
Ali Khamenei s’est aussi dit persuadé que le grand jour était arrivé, que les Etats-Unis allaient enfin subir "une défaite irrémédiable". Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est le retour à la surface des opposants – les siens, ceux qui le tourmentent depuis l’élection présidentielle de juin 2009 et contestent son poulain, le président Ahmadinejad: les partisans du "mouvement vert". Qui s’emparent eux aussi de la révolution en Egypte, mais au nom du peuple et de la démocratie.
Ahmadinejad a senti vendredi le vent tourner. Il a parlé, dans son habituel discours-fleuve, de la grandeur de l’Iran, de l’envoi d’un Iranien dans l’espace (cela fait sept ans qu’il le dit) et du "nouveau Moyen-Orient" qui, selon lui, est en train de se dessiner. Symbolique aussi, l’absence du très conservateur ayatollah Ahmad Janati, qui devait conduire la prière du vendredi, au cas où Moubarak aurait démissionné. Ce que le raïs égyptien a fini par faire. Mais trop tard pour l’agenda des mollahs.
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