La démocratie ne s’improvise pas. Elle est plus facile à conquérir qu’à maîtriser. Plus allégorique quand on la rêve que lorsqu’il faut, laborieusement, jour après jour, la faire vivre. La liberté n’en est que le prélude. La condition. Tout le reste est une construction.
Les Tunisiens font aujourd’hui l’expérience de ce long parcours dont ils ne sont encore qu’au commencement. Ils ne s’en sortent pas si mal, après tout, après tant d’années de dictature qui auraient pu cultiver les extrémismes autodestructeurs. Pas tout, et pas tout de suite: ils font preuve d’une maturité rassurante pour gérer les balbutiements fondateurs de leur nouvelle histoire.
Oh, bien sûr, vu de France, le changement semble quelque peu patiner. Le remaniement du gouvernement, quelques jours seulement après son installation, fait un peu désordre, tellement décalé en apparence avec le renversement en accéléré d’un pouvoir policier qu’on pensa longtemps indéboulonnable. On a craint que l’hésitation soit fatale à un mouvement de libération forcément impatient. Que la fraîcheur en fuite d’un parfum de jasmin se disperse dans l’atmosphère ordinaire des jeux politiques et des ambitions contrariées. Cet écueil a été évité.
Le peuple tunisien est bien parti pour réussir à traverser ce périlleux entre-deux qui mène aux élections. L’idée même d’une transition, qui porte en elle la validation d’un compromis, a été acceptée vaille que vaille pourvu que les anciens serviteurs de Ben Ali quittent la nouvelle équipe dirigeante. Comme le symbole d’une page définitivement tournée.
En conservant le Premier ministre sortant, la nouvelle Tunisie a renoncé, pourtant, à la tentation de l’année zéro. Et même l’artisan de la mobilisation populaire, l’Union générale des Travailleurs Tunisiens, a donné son aval à ce maintien ! Raisonnable, le syndicat a renoncé aussi à siéger au gouvernement pour conserver son rôle de contre-pouvoir. Un refus du mélange des genres qui montre qu’il domine sa victoire... Il sait que c’est le prix à payer, certainement, pour conforter la révolution. Comme si chacun avait instinctivement compris qu’elle avait besoin d’un peu de stabilité pour s’installer.
L’ivresse des règlements de comptes ne passera pas par Tunis. Épargnera-t-elle aussi Le Caire ? C’est moins sûr tant le clan Moubarak a manifestement choisi de résister à l’inéluctable avec cette absence de lucidité qui caractérise les régimes trop épuisés pour réagir. Chaque jour qui passe fait monter l’exaspération, le risque d’une explosion incontrôlée qui profitera aux plus radicaux, et El Baradai n’a pas le profil, ni le charisme, ni l’itinéraire d’un sauveur. Un scénario mou qui fait trembler l’Amérique, réduite à faire la morale en priant pour qu’elle n’hérite pas du pire.
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