TOUT EST DIT

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vendredi 28 janvier 2011

Le patronat italien aux abois

Les coups de boutoir de Fiat contre le droit du travail ont semé la zizanie au sein de la CGIL, l'équivalent transalpin de la CGT. Et voilà que leurs répliques ébranlent maintenant la Confindustria, l'homologue du Medef. En ce début d'année, à un petit peu plus d'un an du renouvellement de ses instances, un vent de panique secoue le bunker du viale dell'Astronomia, l'énorme siège patronal romain qui s'étend au pied du « Colisée carré » construit par Mussolini, dans le quartier de l'EUR.
Fiat, qui est son plus gros et son plus vieil adhérent, vient de gagner deux référendums, à Naples et à Turin. Dans ces deux villes, les salariés ont donné leur accord à des gains de productivité sans précédent. Ils ont accepté de rogner d'un quart leur temps de pause, ils ont consenti à effectuer trois fois plus d'heures supplémentaires et ils sont convenus que les congés maladie abusifs devaient être sanctionnés. En outre, et c'est là la plus grande victoire du patron du groupe, Sergio Marchionne, tout syndicat qui refuse de signer l'accord ainsi validé par le personnel de l'usine s'y verra privé de représentants.
Concrètement, la CGIL va disparaître des sites de Pomigliano d'Arco et de Mirafiori pour avoir dit « non » au référendum. Mais ce sera également le cas de la Confindustria. En effet, pour pouvoir imposer ses vues, Fiat doit sortir du cadre contractuel dessiné par les partenaires sociaux en 1993, à savoir, s'agissant de l'industrie automobile, la convention collective de la métallurgie. C'est son droit, Sergio Marchionne préfère prendre pour référence la loi de 1970 sur le statut des salariés. Un texte qui pose, dans son article 19, le principe de la reconnaissance réciproque des parties contractantes. En d'autres termes, le droit de représentation syndicale aux seules organisations signataires des accords nationaux, de branche ou d'entreprise.
Dans les faits, l'administrateur délégué de Fiat est obligé de constituer deux nouvelles sociétés, l'une à Naples, l'autre à Turin, de façon à ne plus dépendre des règles patronales. S'il s'était agi de deux cas isolés, l'affaire aurait été pliée sans drame. Or Sergio Marchionne vient d'annoncer la généralisation de son dispositif à toute l'Italie, au motif que « l'on ne peut pas vivre dans deux mondes à la fois » et qu'il n'y a « pas d'alternative ». Ce ne sont donc plus deux usines représentant au total 11.000 salariés qui feront exception mais un groupe employant 62.000 personnes, voire 81.000 en comptant les effectifs de Fiat Industrial, la nouvelle enseigne couvrant les camions et le machinisme agricole. Un ensemble dont l'histoire est liée depuis plus d'un siècle à celle du pays tout entier, comme rarement ailleurs dans le monde.
Dans ces conditions, on comprend l'inquiétude de la Confindustria. D'autant que l'effet de contagion se fait déjà sentir. A Gênes, le constructeur naval Fincantieri, contrôlé par l'Etat, a prévenu début janvier qu'il ne paierait pas ses 340.000 euros de cotisation cette année. Son dirigeant, Giuseppe Bono, se plaint du manque de soutien du patronat dans son combat pour les gains de productivité. A Trieste, Mario Carraro pense la même chose. A la tête d'un groupe familial spécialisé dans les systèmes de transmission, il dénonce une Confindustria « éléphantesque » qui « ne fonctionne plus » et « ne fournit plus » les services qu'on attend d'elle. La sentence la plus cruelle, enfin, est venue tout récemment de l'économiste Francesco Giavazzi, chroniqueur au « Corriere della Sera » : « Le roi est nu. A l'avenir, pourquoi les autres entreprises devraient-elles continuer d'adhérer si la Confindustria n'arrive même pas à se battre pour réformer les règles du jeu de manière à rendre la production plus efficace ? »
Face à ce sentiment d'abandon, expression d'une crise profonde, Emma Marcegaglia veut reprendre l'initiative. La patronne des patrons a accordé coup sur coup deux interviews fleuves au journal que son organisation possède, « Il Sole-24 Ore », puis au « Corriere della Sera ». D'abord pour qualifier le dossier Fiat de « stimulant » et souligner que le nombre d'adhérents à la Confindustria a augmenté de 11 % depuis son arrivée en 2008. Ensuite, pour prétendre y avoir songé depuis trois ans déjà : « Dès que j'ai été élue, j'avais en tête l'objectif de rendre la confédération plus légère et plus efficace, puis la grande crise nous a tous contraints à changer d'agenda et à gérer l'urgence. Maintenant que la situation s'apaise, on ne peut plus tergiverser. » Avant de se lancer, enfin, dans les promesses. « Nous avons encore trop de doublons », avoue-t-elle. « Je m'engage à organiser moins de conférences et de conventions coûteuses, désormais nous nous réunirons quand nous aurons quelque chose à dire. Je promets de réduire les missions pléthoriques à l'étranger, au profit de voyages plus concrets qui servent à faire des affaires. »
Parallèlement, Federmeccanica, qui est à l'Italie ce que l'UIMM est à la France, est prête à se tirer une balle dans le pied en réclamant l'ouverture d'une négociation nationale avec les syndicats, afin de rendre les accords d'entreprise prépondérants sur la convention collective de la métallurgie. Quant à la fédération de l'automobile, elle se propose de rédiger sa propre convention collective.
En cherchant par tous les moyens à faire revenir Fiat dans le giron de la Confindustria, les uns et les autres reconnaissent implicitement que la firme automobile va faire jurisprudence. De même qu'en France Laurence Parisot avait été obligée de réformer le Medef il y a trois ans, à cause de l'affaire UIMM et de ses millions d'euros dispersés dans la nature, à la suite de quoi la fédération de l'agroalimentaire avait plié bagage, Emma Marcegaglia est aujourd'hui au pied du mur. Le Medef avait son Gautier-Sauvagnac, la Confindustria a son Marchionne. Chacun sa croix.

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