mercredi 5 janvier 2011
La palette des voeux
Comme Janus, le rituel des voeux est à double face. Si aimable, d'un côté, qu'on ne voit pas qui blâmerait cette coutume. Souhaiter à ses semblables douceur, prospérité, bonheur, santé et tutti quanti, voilà bien une habitude à conserver, d'autant que la dureté des temps ne fait que s'accroître. Pourtant, chacun sait que ces voeux sont aussi des mirages et que personne ne peut y croire. On pourrait même les considérer comme des leurres, des mystifications, mineures mais néfastes, qui nous égarent en masquant la réalité. Derrière cette apparence anodine, il y a là un vieux dilemme que les philosophes connaissent bien et qui engage, en fait, des options de fond.
L'une est la lucidité noire. Prototype : Schopenhauer. De son point de vue, l'optimisme est plus qu'un manque d'information. C'est une déficience mentale. « Aujourd'hui est mauvais, et chaque jour sera plus mauvais - jusqu'à ce que le pire arrive », insiste-t-il. A ce compte-là, on devrait saluer en 2011 une année effroyable. Peu d'imagination est requis, tout est disponible. Risque d'hécatombe en Côte d'Ivoire, ouvrant une crise majeure en Afrique de l'Ouest. Montée du populisme en Europe, intensifiant les violences envers les étrangers. Désorganisation de l'euro, entraînant la chute des économies européennes et le chaos social. Crise en Corée suscitant la mobilisation de la Chine. Attaque terroriste infectant l'eau potable, manipulation de gènes créant des virus incontrôlables, accidents nucléaires, tsunami et autres cataclysmes. A suivre…
Ce tableau sert-il à jouer à se faire peur ? Est-ce au contraire un exercice de « catastrophisme éclairé », comme dit Jean-Pierre Dupuy, où prévoir le pire sert à le prévenir ? Car on peut évidemment faire un bon usage du pire, en l'imaginant pour tenter de l'éviter. Ce n'est pas ce que voulait dire Schopenhauer, intimement convaincu que Dante, en décrivant l'enfer, dépeint le réel. A ses yeux - allons jusqu'au bout -, il n'existe absolument aucun progrès. Rien n'est à attendre de l'histoire humaine. Seule la désillusion la plus radicale est un indice de sagesse. Nos voeux, décidément, ne seraient que pitoyablesgrimaces, vain espoir que quelque chose change. A dire vrai, rien ne bouge.
L'antidote, en l'occurrence, serait Bergson. Aucun philosophe n'a été si loin dans l'affirmation que de l'inattendu est permanent, la nouveauté radicale en train de surgir quand on l'attend le moins. « Le temps est l'invention du nouveau ou n'est rien du tout », affirme-t-il dans « L'Evolution créatrice ». Découverte scientifique, invention technique, création artistique, révolte politique… de tout côté, à tout moment, peut advenir ce que personne n'attendait. Certes, Bergson ne l'ignore pas, « la philosophie n'a jamais franchement admis cette création continue d'imprévisible nouveauté »… Raison de plus pour l'affirmer haut et fort ! C'est alors, on s'en doute, que les voeux retrouvent un sens. Au lieu de naïves niaiseries, ils deviennent expressions de confiance envers le renouvellement, l'éventualité de l'improbable.
A cette opposition de celui qui croit au fatal et de celui qui n'y croit pas, il faut certes apporter des nuances. Entre « rien de nouveau sous le soleil » et « il peut toujours arriver du neuf » s'étend la vaste contrée du probable, où règnent les jeux du certain et de l'incertain. A l'évidence, il est très différent de souhaiter la paix à Genève ou à Abidjan, la liberté d'expression à Londres ou à Pyongyang, la stabilité de l'euro à Paris ou à Budapest, la défaite du terrorisme à Helsinki ou à Kaboul.
Mais ce n'est pas dans cette plaine du milieu que les voeux perdent ou conservent leur sens. Dans ce registre, en fait, on n'a qu'un seul choix. Ou bien rien ne peut changer, le pire est sûr - et nos voeux, petits ou grands, sont tous dérisoires. Ou bien ils sont plus ou moins légitimes et sensés, et cela suppose que de la nouveauté puisse advenir. Bref, celui qui dit « bonne année ! » est soit un rêveur idiot, soit un prophète parieur. A vous de choisir.
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