TOUT EST DIT

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mercredi 5 janvier 2011

Mes non-prévisions pour 2011

Les premiers jours de chaque année sont l’occasion de pronostics plus ou moins détaillés sur les grandes tendances à attendre pour les économies et marchés financiers sur les douze prochains mois. Comme toutes les bonnes résolutions, ces prévisions seront pour la plupart sinon délaissées ou pour le moins fortement révisées en cours d’année. 2011 n’échappe pas à la règle et les grands thèmes qui ont jalonnés mes lectures de vacances peuvent se résumer en quelques lignes :

1. Sur un prisme qui va de l’extrême complaisance au pessimisme excessif, l’optimisme prévaut généralement. Dans l’ensemble les commentateurs sont très confiants sur le marché actions, la reprise américaine et le maintien d’une activité soutenue dans les émergents. Selon eux, les risques existent mais sont plus ou moins bien intégrés dans les prix.

2. La liste non exhaustive des principaux risques est la suivante : une nouvelle crise européenne et un défaut espagnol ; une inflation non maîtrisée en Chine accompagnée d’un durcissement monétaire brutal ; une hausse des prix des matières premières qui pourrait entraîner un mécontentement populaire généralisé ; une forte hausse des taux d’intérêt souverains comme reflet d’un risque inflationniste et d’une détérioration des finances publiques ; le maintien d’un taux de chômage élevé aux Etats-Unis et une baisse des prix résidentiels (avec un impact négatif possible sur les bilans bancaires) ; l’absence de coopération au niveau international (au moment où la France prend les commandes du G20…) ; l’appréciation du yuan est aussi évoquée mais s’agit-il véritablement d’un risque ? ; le spectre d’une crise des municipalités américaines est également agité ; je-serais-preneur-de-toutes-vos-suggestions-dans-la-page-commentaires…

Un peu partout on annonce une année volatile, heurtée, manière de dire que ces risques se succéderont, s’accumuleront parfois… Sans pour autant qu’un désastre soit généralement retenu dans le scenario central (on pourrait discuter longuement de l’intérêt de scénarios alternatifs…).

Il est donc toujours possible de trouver des arguments pour justifier sa propre vision. J’ai pu lire un commentaire, sur un blog célèbre, nous annoncer un événement non prévisible, un « black swan » (« voici des raisons possibles pour lesquelles le marché action va baisser en 2011 :…/… un cygne noir »).

D’autres parlent de "grey swan" pour se couvrir. D’autres enfin préfèrent se concentrer sur des non-prévisions pour 2011… A lire la violence des réponses des lecteurs à certains billets, je me dis que le lectorat de Market-makers est très sympathique et le remercie par avance de continuer cette année (encore une bonne résolution ?).

Au-delà des prévisions mêmes, peut-être est-il plus intéressant d’identifier les thèmes d’investissement. Le marché actions en concentre plus d’un et c’est probablement là que les débats sont les plus marqués.

1. L’illusion du passé : parce qu’il ne peut y avoir de prévision annuelle sans référence historique plus ou moins fiable, cette année nous offre un adage électoral : « les six premiers mois des années pré-électorales d’un premier terme présidentiel offrent historiquement des performances très élevées ». A voir si la bonne entente entre les républicains et les démocrates qui a prévalu pendant la session parlementaire dite « canard boiteux » prévaudra dans un contexte de chômage élevé, de crise des municipalités…

2. Valorisation vs. Momentum. Le momentum décrit la capacité des marchés à prolonger une tendance (jusqu’au plus haut de 2007 ?). Les causes peuvent être multiples, allant de l’engouement de certains, de la volonté de rattrapage de ceux qui pensent avoir « raté le train », et, bien évidemment, d’une valorisation attrayante. Le calcul le plus simple et communément avancé pour prévoir le niveau de fin 2011 du S&P 500 est le suivant : le bénéfice par action (BPA) est aujourd’hui (pour 2010) de 83,60 dollars (données S&P) et le consensus de progression s’établit aux alentours de 13 %, soit 94,80 dollars (une hausse bien inférieure à celle de l’année passée, proche de 50 %, après une année 2009 catastrophique).

C’est à ce stade que l’analyse en termes de valorisation entre en jeu. La référence habituelle est le PER, soit le prix rapporté aux bénéfices, qui est sensé fluctuer autour de sa moyenne au gré du cycle. Le débat fait rage entre :

i. les partisans du CAPE, le PER ajusté du cycle calculé par Shiller, qui rapporte le prix d’aujourd’hui à la moyenne des bénéfices passés (10 ans). Il s’établit aujourd’hui à 22,72 soit bien au dessus de sa moyenne de long terme, suggérant des actions chères.

ii. Ceux qui considèrent (j’en fais partie) que la valorisation doit porter sur des flux futurs et qu’on doit plutôt rapporter le prix d’aujourd’hui aux profits attendus. Selon cette métrique, le PER "forward" s’établit à 14,5 bien en-dessous de sa moyenne historique. Il pourrait la dépasser modestement quelques années sans que pour autant il y ait une bulle. Reprenant le calcul antérieur, la combinaison d’un BPA à 94,8 et d’un PER de fin d’année à 14,5 porterait le S&P 500 à 1.375 points, soit une hausse de 8 % sur l’année.

Certaines analyses poussent le vice jusqu’à prévoir le timing de certains risques. Pour certains, les tests de résistance européens prévus en février pourraient précipiter le risque espagnol. Pour d’autres, l’analyse du sentiment de marché pourrait s’accompagner d’un début d’année chaotique.

3. Retour à la moyenne et stratégie contrariante : il existe une multitude de mesures du sentiment des investisseurs. Parmi elles on retrouve l’indice AAII (% d’investisseurs tablant sur un marché haussier) et le ratio Put/Call (plus il est bas, plus le volume d’acheteurs d’options d’achat est élevé), tous deux visibles sur le graphique ci-dessous. Ils s’affichent à leurs niveaux les plus extrêmes depuis la crise. Combinées à des volumes en baisse (-15 % par rapport à 2009), ces évolutions suggèrent pour beaucoup qu’en dépit d’une tendance de fond haussière, une correction est possible en début d’année. Le thème d’investissement récurrent est donc le fameux "buy on dip", soit profiter des replis pour acheter… L’analyse technique sera d’un grand recours.

4. Rendements relatifs : l’argument majeur utilisé par les longs actions est la comparaison des taux longs sur les bons du Trésor américain à 10 ans au rendement des indices boursiers. On sait que ce dernier est composé du taux de dividende et de la plus-value. De nombreux « bull » soulignaient jusqu’à présent que le taux de dividende (proche de 2 % sur le S&P 500) était attrayant à lui seul au regard du faible niveau des taux 10 ans. Depuis la mise en place du QE2 de la FED (deuxième vague du programme d’achat d’obligations souveraines), le taux 10 ans US a progressé de 100 points de base, rendant l’argument caduque (d’autant que dans l’absolu, un taux de dividende faible aurait plutôt tendance à indiquer des actions chères…).
L’argumentaire repose désormais davantage sur une logique de flux qu’une logique de rendements comparés. Les investisseurs évoquent les « vigiles du marché obligataire » qui seraient préoccupés par le retour de l’inflation et l’explosion des dettes souveraines.

Le graphique ci-dessous est tiré du site d’ICI où on peut lire que sur les dernières semaines les investisseurs sont massivement sortis des fonds investis dans l’obligataire. Il montre que leur mémoire est tenace et que depuis l’effondrement des indices en 2007 les flux cumulés d’investissement en actions n’ont cessé de baisser.

L’argument majeur des « bull » est que les investisseurs vont de nouveau arbitrer an faveur des actions – par défaut en quelque sorte. Bien que sensibles déjà à cet argument, le risque d’un marché obligataire baissier ne doit pas être surestimé : même s’il peut y avoir une croissance plus forte que prévue aux Etats-Unis en 2011 (un PIB en hausse de 2,7 % avec une inflation de 1,3 % donne une cible pour le taux long américain de 4 %... Une normalisation violente mais pas un krach), les pressions inflationnistes restent très limitées. Le risque de défiance vis-à-vis des dettes publiques reste entier mais : i/ la liquidité mondiale reste forte et combinée à des achats par la FED – le traditionnel arbitrage entre actifs est bien moins pertinent. 2/ les agents privés se désendettent (les entreprises ont surtout substitué de la dette de « marché » à du crédit bancaire), ce qui limite le risque dit d’éviction.
Conclusion :

Le changement d’année ne modifie pas la donne macroéconomique. Seulement remet-il les compteurs à zéro pour des investisseurs jugés sur leur performance calendaire ? Les risques macroéconomiques restent nombreux et pas plus faciles à hiérarchiser qu’avant Noël. Il n’est pas incohérent, à ce stade, de jouer des prolongements de tendance tant que rien de véritablement nouveau ne se manifeste.
Toutefois, le risque principal est peut-être la vision un peu trop consensuelle qui se dégage tant sur les risques que sur les opportunités de 2011. Non qu’il faille à tout prix se distinguer avec une vision extrême mais ce début d’année est caractérisé par une liste de risques très longue sur lesquels aucun consensus ne se dégage et dont chacun, pris isolement, semble incapable d’étayer une vision pessimiste.

Une certaine prudence aurait, dans des temps anciens, justifié un certain rebalancement :

Tabler par exemple sur :

Une surperformance du CAC40 sur le DAX après que ce dernier a « profité » de la crise européenne ?
Une moindre avantage des petites valeurs (l’indice Russel 2000 a surperformé de plus de 20 % le S&P 500 depuis le rebond de 2009) ?

Un arbitrage plus favorable en faveur des actions contre le crédit (cf. graphique ci-contre qui compare le taux d’un bond corporate BBB contre le taux de dividende du S&P 500).


L’avantage comparatif de l’Asie se maintiendra-il ? Les deux graphiques ci-dessous montrent une rupture de corrélation entre le S&P 500 et l’indice composite de Shanghai d’une part, et entre ce dernier et le cours du cuivre d’autre part.
Il y aura surement retour à la moyenne, mais dans quel sens ?

Le cas des matières premières et du dollar reste un thème majeur : une approche cyclique pure devrait favoriser le dollar dont la croissance a été révisée de presque un point à la hausse pour 2011 alors que la zone euro sera en souffrance (consolidation budgétaire) et que l’Asie pourrait ralentir plus que prévu sous le double effet de la Chine et des tentatives de lutte contre l’inflation et les entrées de capitaux.

Or, l’une des « certitudes » fortement ancrée dans les prévisions de cette année est que le baril dépassera très bientôt les 100 dollars avec pour objectif les 110/115. Une telle évolution est possible et pourrait être compatible avec un dollar plus fort, mais comme l’illustre le graphique ci-dessous, difficilement durable.
Pour les ‘fondamentalistes’ qui s’intéressent notamment aux excès d’offre, l’évolution récente reste une énigme : les stocks mondiaux s’établissent à 20 jours contre 14 fin 2007 – quand les prix ont touché pour la première fois les niveaux actuels ; de même les capacités excédentaires sont toujours évaluées aux alentours de 4/5 millions de barils par jour. Bien évidemment les arguments de liquidité, de risque inflationniste, de perspectives de rattrapage rapide des émergents restent valables, mais contrairement à certains métaux, la problématique de l’offre/demande ne devrait pas être porteuse.

L’année 2011 est une année qui combine beaucoup de risques et des évolutions macroéconomiques peu tranchées. Cette absence de directionnalité (pas de modification notable des politiques monétaires, pas de d’ajustement brutal des rythmes de croissance…) devrait inciter à la prudence et impliquera, à n’en pas douter, des rotations fréquentes des portefeuilles.

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