Catherine Ashton, membre de la même formation politique que Gordon Brown, parachutée par hasard au poste de haut représentant a bien du mal à relever le défi. "A sa place, d'autres auraient déjà renoncé, insiste l'un de ses collaborateurs. Mais elle s'est prise au jeu, et elle a le cuir solide." Ses conseillers osent même avancer le "bilan positif" de ses dernières initiatives pour une solution au problème de Gaza ou la défense des chrétiens coptes du Moyen-Orient. On la crédite aussi de succès dans les Balkans, avec une reprise du dialogue entre dirigeants serbes et kosovars. Sur l'Iran, elle tente de reprendre le flambeau de son prédécesseur Javier Solana, en pilotant les négociations sur la non-prolifération nucléaire. Mais la haute représentante ne peut effacer de sa mémoire ce qu'elle a entendu lors de son entrée en fonctions : "Bienvenue ! Sache que tu te feras étriller dès que tu ouvriras la bouche."
Les crises se suivent et se ressemblent
Les débuts de la baronne ont, il est vrai, été plus que difficiles, marqués par des erreurs et des hésitations coupables, mises sur le compte de son manque d'expérience diplomatique. Elle peine à surmonter les critiques sur son unilinguisme, et ses week-ends familiaux prolongés à Londres. Très vite, ses absences lors du tremblement de terre d'Haïti, son peu d'intérêt pour les questions de sécurité et de défense, ont suscité la polémique. Contre vents et marées, Lady Ashton a pu proclamer au mois de décembre 2010 qu'un "nouveau départ" était donné à la politique étrangère et de sécurité. A l'issue d'une véritable bataille rangée entre le Conseil, le Parlement et la Commission, au sujet des pouvoirs et des modalités de contrôle du nouvel organe, celui-ci est officiellement installé depuis le 1er janvier.Ces 3 650 fonctionnaires proviennent pour l'essentiel de l'ex-direction générale des relations extérieures de la Commission, mais aussi de la direction générale des affaires extérieures du Conseil et des délégations des Vingt-Sept dans le monde. Quelque 120 postes doivent, par ailleurs, être créés, et des diplomates des pays membres de l'UE vont rejoindre le SEAE. Ce dispositif ouvre-t-il la route vers la voix unique européenne ?
La réalité est plus morose. Car, après la Biélorussie, la Côte d'Ivoire et la Tunisie, les crises se suivent et se ressemblent pour Mme Ashton. Avec, systématiquement, un temps de retard qui impatiente une partie de la salle de presse, réunie tous les midis dans une salle de la Commission, sa porte-parole illustre à merveille la formule du diplomate français Maxime Lefebvre : "Les déclarations communes – de l'UE – ne servent parfois qu'à masquer les divergences entre les Etats membres."
Pour beaucoup, l'impression est qu'un an après sa nomination, la haute représentante pour les affaires étrangères reste comme absente. Et ce manque de visibilité commence à exaspérer certaines capitales européennes. Un haut responsable européen est catégorique, et féroce : "Tout le monde a tourné la page, Mme Ashton est nulle, et le service a connu une mise en place tellement chaotique que, déjà, personne n'y croit plus." Pour lui, la "passivité" de Mme Ashton décourage toute mutualisation des efforts diplomatiques, et compromet l'échange des informations les plus sensibles.
Où est la vision stratégique ?
Le malaise s'est amplifié à mesure que l'organigramme du SEAE se précisait. Les nouveaux pays membres, mais aussi des pays fondateurs, comme l'Allemagne ou l'Italie, s'estiment mal représentés. La France, elle aussi, est mécontente, alors qu'elle a longtemps poussé pour l'émergence d'une diplomatie européenne plus musclée. En dehors de la nomination de Pierre Vimont au poste de secrétaire général exécutif, aucun diplomate du Quai d'Orsay n'a trouvé grâce aux yeux de Lady Ashton. L'administration du service sera sous la tutelle de l'Irlandais David O'Sullivan, et un Britannique, Robert Cooper, exercera le rôle, assez flou, de conseiller spécial de la baronne. En lien direct avec elle. Ressources humaines, infrastructures et ambassades seront sous la tutelle d'autres compatriotes de Lady Ashton, ce qui fait grincer bien des dents...Toutefois, la frustration de certains va bien au-delà des questions de recrutement, et suscite des initiatives diplomatiques apparemment en contradiction avec l'objectif poursuivi par certaines capitales. Ainsi, tandis que Mme Ashton semble peu soucieuse de l'Europe de la défense ou, en tout cas, peu désireuse de contrarier l'OTAN, Paris privilégie la voie bilatérale avec le Royaume-Uni pour élargir la coopération militaire. Au grand dam de l'Italie, de l'Allemagne et d'autres.
Choix révélateur, la France s'est par ailleurs à peine appuyée sur l'Union européenne pour gérer la crise ivoirienne, un des pays de son ancien pré-carré africain.
Certains, comme l'eurodéputé Guy Verhofstadt, chef du groupe des Libéraux et démocrates au Parlement européen, y croient encore. "Si nous voulons éviter une perte de pouvoir au sein du monde multipolaire, il nous faut une stratégie diplomatique globale, pour la défense, pour les enjeux climatiques, monétaires ou sécuritaires", plaide-t-il.
Mme Ashton sera-t-elle capable d'élaborer cette vision, elle qui se cantonne, au mieux, à la position plus acceptable pour les Etats, négligeant la latitude, et les prérogatives, que lui offre le traité de Lisbonne ? La baronne paraît peu désireuse d'être autre chose qu'une "facilitatrice" entre les Etats membres. Devant les eurodéputés socialistes, le 12 janvier, elle utilisait le même terme de "facilitatrice" pour définir la possible action de l'UE sur la scène mondiale.
Pour l'instant, l'Europe se contentera donc de rester la "puissance narrative" décrite par le géopolitologue Zaki Laïdi. Capable de parler du monde, d'énoncer des valeurs, mais pas (encore ?) de s'imposer comme une véritable puissance.
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