vendredi 26 novembre 2010
Le salut de Berlusconi passe par Dublin
La Grèce il y a un an. L'Irlande aujourd'hui. Le Portugal peut-être demain. Et l'Italie après-demain ? De l'autre côté des Alpes, la classe politique tout entière craint l'effet domino qui pourrait bientôt mettre Rome, à son tour, au pied du mur. La semaine dernière, Oscar Giannino, éditorialiste à « Panorama », l'hebdomadaire de Mondadori proche du pouvoir en place, a calculé que la dette publique augmentait « de plus de 2.300 euros par seconde, soit 150.000 euros par minute, presque 9 millions d'euros par heure et plus de 200 millions d'euros chaque jour que Dieu fait ». L'an prochain, l'endettement représentera presque 120 % du PIB (en France, ce taux devrait atteindre 86 %). Aussi le projet de budget pour 2011, adopté à la Chambre des députés le 19 novembre et à l'examen ces jours-ci au Sénat, chiffre-t-il à environ 80 milliards d'euros les intérêts que l'Etat devra rembourser l'an prochain (contre 45 milliards en France). On comprend que droite et gauche confondues s'inquiètent sérieusement de la situation. Mais il n'est pas sûr, hélas, que la peur soit sincère. Au contraire, dans le climat de fin de règne qui caractérise l'Italie en ce moment, l'alarme sur les comptes publics est totalement instrumentalisée. Il s'agit d'éviter le vote de la motion de censure visant à faire tomber Silvio Berlusconi. Le texte sera débattu le 14 décembre dans l'hémicycle de Montecitorio, où le Peuple de la liberté (PDL) ne dispose plus que d'une majorité relative. Et cela à la veille, précisément, d'un Conseil européen de crise qui doit aborder la question des finances publiques.
Dans le camp du « Cavaliere », on estime que, avec la crise que traverse actuellement la zone euro, faire tomber le gouvernement serait « un acte d'irresponsabilité » et « un malheur absolu ». En gros, si le président du Conseil était chassé du pouvoir, les Italiens risqueraient de se retrouver dans l'impasse financière et de voir leurs futurs dirigeants placés sous tutelle européenne, comme l'est désormais d'une certaine manière le Premier ministre irlandais, Brian Cowen. Sans parler du remède de cheval que la BCE ne manquerait pas de leur imposer dans la foulée. Dans le camp d'en face, à l'inverse, on fait de la dette publique l'argument numéro un pour obtenir la chute de l'exécutif et la nomination d'un gouvernement de transition à même d'achever la législature. « Technique », « de responsabilité nationale », « de salut public »… L'équipe qu'appellent de leurs voeux les deux principales formations d'opposition, le Parti démocratique (PD) de Pier Luigi Bersani et l'Union du centre (UDC) de Pier Ferdinando Casini, aurait pour but de rendre l'Italie réellement gouvernable, grâce à la fin des scandales mêlant sexe, corruption et fraude fiscale en tout genre. Elle permettrait aussi d'éviter, fin mars, la convocation d'élections anticipées, précédées d'une longue campagne qui paralyserait la péninsule et à laquelle la gauche, pour avoir déjà commandé ses affiches au cas où, n'en reste pas moins non préparée.
Le patronat a, lui aussi, fait de la rhétorique de la paralysie son antienne. Que la présidente de la Confindustria, Emma Marcegaglia, manifeste quotidiennement sa colère contre un exécutif impuissant à relancer la machine économique en dit long sur l'exaspération des milieux d'affaires. La croissance patine à 1 % et les patrons de Fiat et Ferrari, Sergio Marchionne et Luca di Montezemolo, l'affirment ouvertement : l'image que donne Berlusconi de l'Italie est terrible pour les grands groupes, lesquels ne peuvent plus échapper aux allusions narquoises de leurs interlocuteurs lorsqu'ils voyagent à l'étranger. Il n'est pas sûr que les choses changent après le 14 décembre, tant le fonctionnement des institutions laisse la porte ouverte à toutes les hypothèses. Au moment où les députés s'exprimeront sur la motion de censure, les sénateurs, eux, voteront pour ou contre une motion de confiance présentée par le PDL, qui jouit de la majorité absolue au Palazzo Madama.
Plusieurs questions restent donc sans réponse. Qu'adviendra-t-il si Silvio Berlusconi est désavoué à la Chambre et confirmé au Sénat ? Si ce dernier démissionne, peut-il être reconduit en jouant la carte de l'ouverture ? S'il jette l'éponge, qui mettre à sa place, sachant que l'intéressé, toujours incontournable dans le paysage, ne jouera jamais les Juppé italien en acceptant un simple portefeuille de l'Economie ou de la Défense ? Dès lors, les anti-Berlusconi sont-ils en capacité d'accorder leurs violons pour former une coalition, alors qu'ils viennent d'horizons aussi disparates que le centre droit de l'ex-postfasciste Gianfranco Fini et la gauche de la gauche incarnée par l'ancien juge Antonio di Pietro et le président de la région des Pouilles, Nichi Vendola ? En outre, ce scénario alternatif peut-il être accepté par des Italiens désormais rompus à la bipolarisation, alors que leur vote aux législatives de 2008 avait été très clair (le PDL et la Ligue du Nord avaient emporté 47 % des suffrages, contre 38 % pour la coalition de gauche) ? Le 14 décembre en tout cas, le véritable événement se jouera à la Cour constitutionnelle, qui doit donner son avis sur la loi de « l'empêchement légitime », instaurée en début d'année pour permettre au « Cavaliere » de ne pas se rendre à ses procès, du fait de son agenda surchargé. S'il sauve sa peau politique dans la matinée, en ralliant les députés à sa version de la menace irlandaise, Silvio Berlusconi sauvera sa peau judiciaire dans l'après-midi. Soit les sages confirmeront son immunité. Soit l'accusé, confirmé à la tête du gouvernement, s'empressera d'écrire une nouvelle loi pour échapper aux juges.
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