TOUT EST DIT

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mardi 26 octobre 2010

Cinéma : la nouvelle donne du numérique

Grâce au numérique, l'amateur de cinéma est au coeur d'une petite révolution. La télévision numérique terrestre (TNT) a fait exploser l'offre de films sur son petit écran. Avec l'arrivée de la télévision connectée et le développement de décodeurs donnant accès à Internet, une nouvelle étape va être franchie. Tous les services de films en vidéo à la demande (VOD) sur la Toile seront en effet accessibles en deux ou trois clics sur la télé. Le spectateur-internaute pourra ainsi acheter un film à la séance ou s'abonner à des « packages » de cinéma. Les fournisseurs d'accès à Internet, les chaînes de télé, les marchands de produits culturels sur le Web se sont tous engouffrés sur ce marché, y voyant la promesse de revenus substantiels. De fait, cette innovation technologique, promise à un beau développement avec la multiplication des supports (« smartphones », tablettes, etc.), devrait modifier la manière de consommer les films. Ces évolutions ne risquent-elles pas, à terme, de déstabiliser le mode de financement du cinéma français ? Le sujet a en tout cas nourri de nombreux débats ce week-end aux Rencontres cinématographiques de Dijon.


Aujourd'hui, la pratique de la VOD n'est pas encore massive. Mais le marché est appelé à prospérer avec l'augmentation des débits et l'amélioration de la qualité de l'image. En 2009, 12 millions de films ont déjà été téléchargés en VOD. Vingt millions pourraient l'être cette année. A condition de ne pas coûter trop cher, les offres de cinéma en ligne - attractives par le choix qu'elles proposent et la souplesse de programmation -vont entrer en concurrence avec les supports traditionnels sur lesquels les films sont visionnés. La première condamnée par cette évolution va être la vidéo locative physique. Aux Etats-Unis, où le téléchargement légal de films est devenu un phénomène de masse, des loueurs de vidéos comme Blockbuster ont déjà fait faillite. La VOD devrait également se substituer à une partie du marché du DVD. A l'achat d'une galette, se substituera la location -moins onéreuse surtout pour les nouveautés -d'un film.


La télévision va, elle aussi, être bousculée. Des chaînes thématiques comme Ciné Cinéma pourraient voir leur modèle économique écorné par la concurrence des services de VOD par abonnement. Enfin, déjà fortement déstabilisée par la concurrence de la TNT, les audiences - donc les recettes -des grandes chaînes généralistes vont être exposées aux infidélités croissantes du spectateur-internaute. Avec une conséquence prévisible pour la filière du cinéma : l'accélération de la perte d'attractivité des films, déjà de moins en moins considérés comme un produit d'appel par des grandes chaînes privées comme TF1 ou M6.


Reste la grande inconnue Canal+, premier financier des films français avec près de 19 % des investissements en 2009. Le modèle de la chaîne cryptée repose sur le cinéma et le foot, mais tend à se diversifier en misant sur la création originale de fiction. La question est de savoir jusqu'à quel point l'apparition d'offres concurrentes -que ce soit la VOD ou des services comme Apple TV ou Google TV -affectera son portefeuille d'abonnés. En VOD à l'acte, les films seront accessibles quatre mois après leur sortie dans les salles obscures, contre dix mois sur Canal+. Face à l'émergence d'un marché pouvant empiéter sur ses plates-bandes, la chaîne a placé ses pions, en créant son propre site de VOD, CanalPlay.


Toutes ces évolutions font planer une menace sur l'argent reçu par le cinéma, puisque les financements attachés à tous ces supports risquent d'être fragilisés. D'abord, la location d'un film en VOD génère trois fois moins de recettes qu'un DVD (en moyenne 4 euros contre 12 euros en 2009). Pour les titres les plus regardés en DVD, cela pourrait signifier un réel manque à gagner. Ensuite, le développement de la VOD et de la TNT va peser sur la valeur d'usage du cinéma pour les chaînes gratuites, et peut-être payantes. De là à imaginer qu‘elles cherchent à renégocier leurs obligations d'investissement dans le cinéma, il n'y a qu'un pas. Or, en 2009, elles ont financé à hauteur de plus de 30 % les films d'initiative française, via une contribution proportionnelle à leur chiffre d'affaires.


Face à l'arrivée de la VOD, il était donc indispensable pour les producteurs d'intégrer les éditeurs de plates-formes dans la chaîne de financement du cinéma, de façon à trouver des ressources nouvelles. L'Europe leur a donné le coup de pouce nécessaire : anticipant le mouvement, elle a décidé d'ouvrir la voie à une taxation des « services médias audiovisuels à la demande » -soit la VOD et la télévision de rattrapage. Un projet qui vise à mettre la vidéo à la demande sur un pied d'égalité avec les télés vis-à-vis du septième art. Grâce à lui, en cas d'explosion de la VOD, les éditeurs de plates-formes participeront significativement au financement de la production nationale. A court terme, la mesure aura toutefois une valeur pédagogique, les revenus des sites de VOD -sur lesquels seront calées les obligations -étant encore modestes.


Le dispositif envisagé présente toutefois deux limites pour le cinéma français : la première est la possibilité de contournements des règles par les acteurs étrangers installés hors des frontières hexagonales. Vouloir faire financer la création par des Apple, Google ou Amazon qui espèrent récupérer une part du gâteau prometteur de la VOD apparaît illusoire.


Seconde limite, il n'est pas prévu -au moins pour l'instant -que la VOD entre dans la logique de préfinancement qui garantit la vitalité de la production française, les plates-formes n'offrant pas d'exclusivités. Contrairement aux autres acteurs du financement, elle ne permettra donc pas au producteur de boucler son budget avant le tournage. Face à ces deux contraintes, le cinéma français n'a qu'une peur : c'est de ne pas s'y retrouver sur le plan financier. Seul réconfort, les salles obscures -qui elles aussi financent le cinéma -se portent bien, avec une fréquentation en hausse en 2009 et 2010.

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