TOUT EST DIT

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mardi 26 octobre 2010

L'obsession française de la retraite à 60 ans


Mais pourquoi donc les Français sont-ils si acharnés à défendre la retraite à 60 ans ? Car il ne faut pas s'y tromper. Si les dirigeants des syndicats, des partis de gauche et de la presse d'opposition réclament une réforme plus juste, évoquant tour à tour le sort des femmes, la pénibilité ou la taxation du capital, la grande majorité des Français s'en moque. Quand on se glisse dans les cortèges, quand on lit les banderoles, quand on écoute les slogans, quand on se plonge dans la masse des reportages sur le terrain, les manifestants ont une idée en tête, des gamins aux papys : « Objectif retraite à 60 ans » ! C'est d'ailleurs pour cette raison que Ségolène Royal fut la première des éléphants socialistes à dire que l'âge légal de la retraite serait ramené à cette barre fatidique, en cas de victoire de la gauche en 2012, elle qui est la championne des courts-circuits avec l'opinion publique.


Pour comprendre les racines de cette étrange obsession française, il suffit d'écouter. Même si les Français savent bien, au fond, que le prochain épisode s'appellera « On a marché sur la retraite à 60 ans », ils résistent, avec parfois l'énergie du désespoir, pour une raison simple : ils sont persuadés que le travail, c'est l'enfer. Et c'est vrai que le travail est devenu plus dur au fil des décennies. La dernière enquête sur les conditions de travail remonte à 2005, mais elle montre la tendance. En vingt ans, les salariés restant « longtemps dans une posture pénible » sont passés de 16 à 34 % du total. Plus de la moitié ont « un rythme de travail imposé par une demande extérieure à satisfaire immédiatement », une proportion qui a, là aussi, doublé. Le fait de « devoir porter ou déplacer des charges lourdes » concerne désormais 39 % des salariés au lieu de 21 %. Ces tendances sont confirmées par les observations médicales, avec par exemple la montée des TMS - troubles musculo-squelettiques.


Le mouvement est plus marqué en France qu'ailleurs, car le travail y a été concentré, comme du jus d'orange. Et le dialogue social y est médiocre, étouffant les initiatives qui permettraient une amélioration bénéfique pour l'employeur et l'employé. Depuis trente ans, tout se passe comme s'il y avait un accord implicite entre les salariés, les entreprises et l'Etat : on travaille moins mais plus dur. Le temps passé en entreprise a été réduit comme peau de chagrin - études plus longues, semaine écourtée, départ à la retraite plus tôt. Mais, en échange, le travail est désormais un jus hautement concentré, au point d'en être devenu corrosif. Voilà pourquoi il semble inimaginable à beaucoup de Français de continuer « plus longtemps que prévu ».


Pour aller au-delà de 60 ans, il faudra changer le travail. Réorganisation d'un chantier pour qu'un maçon senior puisse travailler sans porter des sacs de 50 kilos, formation des salariés même après 45 ans, transmission des savoirs, gestion des carrières, aménagement des grilles de salaire pour casser les augmentations automatiques à l'ancienneté qui poussent les entreprises à éjecter leurs chers seniors… Les dirigeants d'entreprise en panne d'idées ont largement de quoi s'inspirer dans les pays où l'âge effectif de la retraite approche, voire dépasse les 65 ans.


Les entreprises ont également un levier formidable à actionner. Car les Français sont schizophrènes sur la question, comme sur bien d'autres. Ils sont convaincus que le travail est un enfer, mais ils savent aussi qu'il peut constituer pour beaucoup d'entre eux, n'ayons pas peur de le dire, un petit bout de paradis. Dans les relations avec les collègues, mais aussi par l'implication dans un projet collectif ou tout simplement dans l'accomplissement personnel. Il suffit (et il faut) qu'un collège brûle au Mans pour entendre soudain des professeurs parler du bonheur qu'ils avaient à y enseigner. Oui, du bonheur ! Une idée neuve en entreprise…


Si les employeurs ne travaillent pas sur le travail, leurs employés continueront de se battre, d'une manière ou d'une autre, pour y rester le moins longtemps possible. L'autre voie est connue. Pour combler un trou qui approcherait les 50 milliards d'euros en 2020, selon les calculs du Conseil d'orientation des retraites établis sur des hypothèses qui peuvent paraître aujourd'hui optimistes (7 % de chômage en 2020, 1,5 % de progrès annuel de productivité d'ici là), il faudrait relever les cotisations de 0,7 % par an, soit la moitié de la progression espérée du pouvoir d'achat. Il n'est pas sûr que les Français préfèrent cette solution.

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