Une dizaine de ministres présents
Ce sera aussi et surtout l'occasion, comme souvent, mais surtout cette année, la première rentrée depuis le retour de la gauche au pouvoir après dix ans d'absence, de prendre le pouls de la situation politique, économique et sociale de la France, et la température des relations, assez fraiches, entre le patronat et le gouvernement. Pas moins de dix ministres seront présents ; dont Jean-Marc Ayrault en vedette américaine pour l'ouverture, une première pour un Premier ministre, mais aussi Michel Sapin, ministre du travail, Pierre Moscovici, celui de l'économie et des finances et même, en dernière minute, Arnaud Montebourg, le bouillant ministre en charge du redressement productif qui s'en était pris vivement en juillet à la famille Peugeot et qui interviendra vendredi en clôture.
La crise change la donne
Cette université d'été n'aura rien à voir avec l'ambiance de pugilat des premières années du Medef, lorsqu'Ernest-Antoine Seillière, son premier président élu, avait mené un rude combat contre Lionel Jospin (pourtant son ancien condisciple de l'Ena) et surtout contre les lois Aubry sur la réduction du temps de travail. Le patronat était alors en guerre ouverte contre le gouvernement, même si en réalité, la plupart des entreprises, surtout les plus grandes, négociaient en coulisses des accords de flexibilisation de l'emploi et des allégements de charges sociales en échange du passage aux 35 heures. Ce n'était pas il y a si longtemps et pourtant, le contraste avec cette période est saisissant. A l'époque, les patrons avaient un ami au gouvernement, en la personne de Dominique Strauss-Kahn. Le brillant ministre de l'économie, des finances et de l'industrie concentrait à lui seul dans un grand Bercy toutes les responsabilités aujourd'hui confiés à quatre ministres du gouvernement Ayrault : Pierre Moscovici (Economie et Finances), Arnaud Montebourg (Redressement productif), Jérôme Cahuzac (Budget), Nicole Bricq (Commerce extérieur). A l'époque aussi, malgré les apparents désaccords idéologiques entre le patronat et la gauche, les belles performances de l'économie française, compétitive face à l'Allemagne, en excédent commercial et dopée par une croissance mondiale euphorique, arrondissaient les angles. Le patronat avait même accepté sans trop de mauvaise grâce un doublement de la surtaxation de l'impôt sur les sociétés décidé par le gouvernement Juppé pour permettre la qualification de la France pour l'euro.
En cette rentrée 2012, le paysage est radicalement différent. Entamant la dernière année de son deuxième (et selon les statuts actuels dernier) mandat, Laurence Parisot, la présidente du Medef, est dans une toute autre position que son prédécesseur de 1998 qui affichait ouvertement sa volonté de ferrailler avec Lionel Jospin, n'hésitant à pas à le faire huer lors d'assemblées générales à l'ambiance de meeting politique. Pour la présidente du Medef, qui a accordé hier un long entretien au « Monde », il est beaucoup plus difficile de trouver aujourd'hui une prise face à l'insaisissable François Hollande qui pour l'instant gère prudemment l'économie et habilement la situation politique : pas de combat idéologique comme celui des 35 heures à se mettre sous la dent, mais en revanche un climat de crise économique et sociale dans lequel le patronat est contraint de négocier, pied à pied, des avancées sur son grand sujet, celui de la compétitivité. Et donc à ne pas rompre le dialogue social dont Laurence Parisot s'est fait la championne.
C'est que la situation s'est complètement inversée par rapport à il y a quatorze ans : la France a perdu du terrain sur les marchés extérieurs, les entreprises notamment les plus grandes ont délocalisé à tout va pour tenter de conserver leurs marges dans la mondialisation. Et la croissance surtout, a disparu et ne semble pas prêt de revenir de sitôt, dans un environnement très inquiétant quant à l'avenir de la zone euro. La stagnation de l'activité depuis presque un an et l'effondrement des marges des entreprises françaises est la principale source d'inquiétude de la présidente du Medef qui attend de la venue d'une dizaine de ministres lors de l'université d'été un discours plus offensif et plus rassurant de la part du gouvernement.
Le patronat mal aimé
C'est que depuis la campagne électorale, le patronat a le sentiment d'être le mal aimé, le bouc émissaire de la crise, et craint de voir le fossé avec l'opinion se creuser alors que les plans de restructuration se multiplient depuis le printemps dans tous les secteurs : l'automobile, l'aérien, la sidérurgie, mais aussi la banque, les télécoms et désormais la grande distribution avec Carrefour. Alors que la gauche de la gauche pousse François Hollande à choisir une voie beaucoup plus radicale en légiférant sur les licenciements et les cessions d'usines, le Medef est dans une position délicate et attend du gouvernement des signes d'apaisement face à ce que beaucoup de patrons qualifient de climat anti-business. L'alourdissement de l'ISF, sans plafonnement, la taxation des hauts revenus supérieurs à 1 million d'euros à 75%, qui vise directement les chefs d'entreprise alimentent un vent de révolte au sein d'une frange du patronat qui voudrait bien en découdre avec le gouvernement, menace de quitter la France avec leurs comité exécutifs voire de délocaliser les sièges sociaux.
Encourager plutôt que décourager
C'est la raison pour laquelle Laurence Parisot a haussé le ton à la veille de l'Université d'été, mettant le gouvernement en garde contre ses projets fiscaux. Elle attend du gouvernement qu'il soit « dans l'ouverture plutôt que dans la défiance, dans l'attention plutôt que la suspicion, encourageant plutôt que décourageant ». Les mots qui seront prononcés par le Premier ministre ce mercredi seront scrutés à la loupe. En juillet, lors de la conférence sociale, le Medef avait failli claquer la porte parce que sous la pression de la CGT, Jean-Marc Ayrault n'avait pas voulu associer la flexibilité pour l'employeur à la négociation prévue sur la sécurisation de l'emploi à partir de cet automne et pour laquelle le gouvernement doit adresser aux partenaires sociaux un document d'orientation à la mi-septembre. Laurence Parisot attend un tout autre discours et prévient que le Medef ne participera à la négociation qu'à la condition que ses préoccupations soient entendues sur la question sensible des accords compétitivité-emploi. Ceux-ci ont selon Laurence Parisot permis à l'industrie automobile de surmonter la crise de 2008 mieux que cela n'a été le cas en France. Les derniers chiffres du chômage, catastrophiques, viennent plutôt renforcer la position du Medef alors que le gouvernement ne peut compter sur les seuls emplois aidés et les emplois d'avenir pour résoudre le problème.
Cassus belli fiscal
Mais le principal casus belli entre le patronat et la gauche reste le dossier fiscal. Laurence Parisot, consciente qu'une lourde facture arrive avec le budget 2013, historique, demande au gouvernement de faire deux fois plus de baisses de dépenses que de hausses d'impôts. Elle dénonce aussi la volonté du gouvernement d'aligner la fiscalité du travail et du capital qui limiterait l'accès aux capitaux. La taxation à 75% promise par François Hollande ne devra selon elle pas s'appliquer sur les cessions d'entreprise ou de parts d'entreprise. Deuxième cheval de bataille, le projet de supprimer ou de plafonner la déductibilité des intérêts d'emprunts contractés lors d'une acquisition qui selon le Medef pourrait mettre un coup d'arrêt au développement des entreprises notamment les ETI par croissance externe, et semble donc contradictoire avec la volonté de favoriser un Mittelstandt d'entreprises moyennes comme en Allemagne. Enfin, la présidente du Medef s'oppose farouchement à toute intégration des biens professionnels dans l'assiette de l'impôt sur la fortune, comme on en prête l'intention au gouvernement, qui serait selon elle un « hara-kiri » de l'économie française.
Le retour de la CSG sociale
Au-delà de ces sujets techniques, le vrai combat du Medef est bien celui de la compétitivité. Laurence Parisot pense avoir gagné des points pour convaincre le gouvernement de prendre en compte la question du coût du travail même si les modalités d'une baisse des charges restent encore nébuleuses. En attendant les conclusions de la commission confié à Louis Gallois sans doute en octobre, le Medef réitère sa proposition d'un système à « double hélice » permettant à la fois de baisser les charges des entreprises et des salariés en échange d'une hausse légère et de la TVA et de la CSG, avec comme alternative à la TVA, rejetée par la gauche, l'appel à la fiscalité écologique. Cette idée qui s'apparente à la « CSG sociale » défendue par certains économistes proches du gouvernement, comme Elie Cohen, Gilbert Cette ou Philippe Aghion, semble faire son chemin puisque Jean-Marc Ayrault comme Pierre Moscovici ont récemment reconnu qu'elle était au menu des négociations entre partenaires sociaux avec ambition d'aboutir avant le printemps 2013.
Des gages de bonne volonté
Désireuse de négocier et consciente que la période ne se prête pas à une relation conflictuelle dure avec le gouvernement, Laurence Parisot joue donc une partie délicate. Il lui faut à la fois mener le combat notamment fiscal contre les projets les plus à gauche de François Hollande tout en lui donnant des gages de bonne volonté pour l'amener à sortir du bois et à avancer sur les chantiers de réformes structurelles pour lesquels le Medef se bat depuis de longues années. La situation économique et budgétaire très difficile et la crise de l'euro pourrait obliger les deux parties à trouver un terrain d'entente. Ce n'est ni un flirt, ni une lune de miel, mais sans doute la conscience de part et d'autre que les enjeux pour le pays et l'ampleur des difficultés encore à venir plaident pour que chacun fasse un pas dans la direction de l'autre. En acceptant par exemple, ce qu'il avait refusé en juillet provoquant la colère des syndicats, un alignement des régimes complémentaires sur le décret permettant à certains salariés ayant commencé à travailler tôt de partir à 60 ans, le Medef a fait une partie du chemin. Les patrons escompte que ce geste aura pour contrepartie une plus grande écoute du gouvernement à ses inquiétudes sur la fiscalité et la compétitivité.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire