TOUT EST DIT

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lundi 18 juin 2012

Ivan le terrible

Le « réactionnaire » autoproclamé à succès, l’éditorialiste vedette du Figaro et des plateaux de radio de télé serait-il surtout un insoumis, un indigné mais. à sa manière ? Rencontre avec Ivan Rioufol.
Vous vous vantez d’être réactionnaire. Qu’estce que ça veut dire, pour un journaliste ?
Dans mon métier, c’est être continuellement indigné, réactif, c’est refuser d’adhérer au conformisme de la profession, lequel est étouffant. En 1976, je suis devenu journaliste dans la presse locale. Les premiers mots que j’ai entendus à l’époque étaient déjà : « Non, coco, tu ne parles pas de ça ! »
Les choses ont-elles changé depuis ?
Non. Dans ce journalisme de proximité, les espèces protégées étaient les pouvoirs locaux, les corps constitués : on leur devait une certaine déférence. Première frustration. En « montant » à Paris, en 1985, j’ai découvert une autre connivence. Vis-à-vis, cette fois, des élites politiques et médiatiques. Les journalistes étaient priés de ramer avec le courant. Je me suis naturellement tenu en marge.
Priés ou obligés de ramer ?
C’est presque spontané. Il est plus facile de faire carrière quand on est dans l’air du temps, que l’on épouse les pensées qui sont celles que l’on nous suggère de partager. Dans la profession, ce n’est pas une question que l’on se pose. Il se trouve que mon caractère n’est pas celui-là. Je suis habité par une sorte de naïveté qui me fait dire qu’il est plus intéressant d’aller voir derrière le rideau ce que l’on cache, que d’admirer ce qui est présenté. Je me suis toujours plus ou moins appliqué à essayer de dire les choses qui étaient celles que l’on voulait soustraire à curiosité.
Les journalistes agissent ainsi par carriérisme ou parce qu’ils sont convaincus ?
D’abord par confort intellectuel, conformisme, paresse, nombrilisme corporatiste… Je ne suis pas sûr que mes confrères aient des convictions très profondes. Le manque de courage est fort répandu dans la profession. Peut-être est-ce dû à son mode de recrutement, à sa formation, à son manque d’idéal. Difficile à expliquer, puisque aucun livre n’a été écrit sur ce que pensent vraiment les journalistes. Ils sont très individualistes. Ils peuvent faire semblant d’être dans le moule et penser tout à fait différemment. Selon moi, l’explication la plus probable à cette couardise est la recherche perpétuelle du confort intellectuel décrit par Marcel Aymé. Il est tellement plus simple d’adhérer à la pensée convenue. Cette lâcheté me hérisse. Mais je demeure journaliste et ne déchirerai pas ma carte de presse, comme l’a fait notre confrère Brunet. Au cœur même de cette profession, on trouve des gens très intéressants, un monde intellectuel, malgré tout. Mais on peut être terriblement déçu par la matrice générale…
N’est-ce pas plutôt de la nostalgie envers un métier qui a beaucoup évolué ?
Possible. La nostalgie est très mal vue aujourd’hui. Pourtant, je ne me l’interdis pas. Je suis nostalgique d’un certain courage, du panache, des gens qui se battaient pour des idées, avec un talent littéraire… Tout cela est beaucoup moins présent dans la presse actuelle. Je suis nostalgique des chroniques d’Alexandre Vialatte dans La Montagne, d’un Raymond Aron, d’un Jean-François Revel, d’un Alain Peyrefitte, j’en oublie. Ces grands intellectuels, ces esprits libres ne sont plus. Et nous ne leur arrivons pas à la cheville. C’est d’autant plus désespérant que notre profession se donne en exemple et administre des leçons à la terre entière, en se dispensant de reg a r d er ce qu’elle est elle-même devenue.
Vous vous sentez seul ?
Je sais que je ne le suis pas. Dans ma profession, je me sens effectivement isolé, mais je suis soutenu par ceux qui me lisent, me regardent, ou m’écoutent. Étant de tempérament solitaire, cette marginalité ne m’effraie pas ! Il faut d’ailleurs accepter une sorte de solitude quand on a pour idéal de dire les choses au plus près. Et puis, j’observe que de nombreux confrères, même s’ils ne le disent pas tous, pensent comme moi. En fait, l’expression d’idées non conformistes, ou non labellisées, est vue comme une forme de dissidence. Ce qui est tout de même le comble de l’aberration dans une démocratie libérale.
Vous parlez de la jeune génération des journalistes qui ose moins qu’avant. Est-ce par peur ?
Oui, certainement. Quand je parle de confort intellectuel, je devrais dire confort tout court, y compris financier. Effectivement, il est plus simple de ne pas prendre de risques. Mais je ne dis pas que la jeune génération en général est moins courageuse. Je pense au contraire qu’elle l’est davantage, bien plus libérée de l’emprise intellectuelle, du conformisme ambiant. Le fait que Marine Le Pen rallie plus de jeunes que François Hollande est un signal : l’esprit réactif gagne une jeunesse qui a toutes les raisons d’être furieuse. Pourquoi, en effet, paierait-elle les dettes que leur ont léguées les générations précédentes ? En outre, les jeunes aujourd’hui souffrent beaucoup de l’échec de l’école. Celle-ci ne transmet plus les savoirs fondamentaux de culture qui ouvrent au discernement et à l’esprit critique. Or, la jeunesse est avide de connaissances qu’elle n’a pas eues.

« Je suis nostalgique d’un certain courage, du panache, des gens qui se battaient pour des idées… Tout cela est beaucoup moins présent dans la presse actuelle. »

Lire la suite dans Medias n°33

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