TOUT EST DIT

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lundi 18 juin 2012

Quand les « nouveaux réacs » gâchent la fête

Si Voltaire visitait le siècle commençant, il serait estomaqué d’entendre ses héritiers en première ligne réclamer sans relâche que leurs adversaires soient réduits au silence, comme s’ils voulaient inverser sa célèbre formule (que celle-ci soit ou non apocryphe). C’est parce qu’elles éclairent ce grand renversement, au terme duquel des enfants des Lumières peuvent proclamer « La liberté, voilà l’ennemi ! », que les histoires de boutique, querelles de microcosme et cabales d’opérette dont il sera question ici présentent quelque intérêt. Ainsi, le énième remake de l’affaire des « nouveaux réacs » aura peut-être été, en même temps que l’un des grands succès de la saison médiatique 20102011, le coup de sifflet signalant le début de la fin de la récré. […] Pour les grandes boutiques de l’audiovisuel, bannir toutes les voix dissonantes ou jugées telles eût été prendre le risque de perdre la fraction non négligeable du public qui enrageait d’être invisible sur les écrans radar médiatiques, si ce n’est pour jouer le rôle des « ploucs émissaires 1 ». Ce n’est pas par amour de la polémique, mais pour les nécessités de l’audience, que d’avisés chefs d’entreprise ont recruté à des heures de grande écoute Éric Zemmour, Jean-Jacques Bourdin, Robert Ménard et quelques autres, que l’on devrait au moins créditer d’avoir pimenté le débat public — et donné des aigreurs d’estomac à quelques ennuyeux patentés.
Un certain nombre de leurs chers collègues, qui ne pratiquent l’impertinence qu’en meute, a promptement décrété que ces francs-tireurs étaient le déshonneur du journalisme. On me dira, et à raison, que les « médias », ça ne veut rien dire. Aussi serait-il injuste de ne pas souligner que beaucoup de figures éminentes de la profession les ont encouragés, défendus, imposés parfois, en dépit du gouffre idéologique qui les séparait. Significativement, ces derniers appartiennent plutôt à l’ancienne génération, comme si le désaccord civilisé, l’af frontement argumenté étaient déjà des témoignages d’un autre temps.
(...) Reste que leur légitimité, les « nouveaux réactionnaires » la doivent au public plus qu’à leurs pairs. Elle tient d’abord au fait qu’au-delà d’évidentes différences de styles et d’opinions, ces commentateurs ont en commun l’ambition plus ou moins consciente de « dire les choses telles qu’elles sont », ou à tout le moins de ne pas récuser comme « fantasme » ou « phobie » le récit que fait de son existence une certaine France d’en bas – qui se trouve être aussi une France d’avant. On ne la voit ni dans les sondages ni sur les écrans, sauf à l’approche des élections, quand tout le monde se souvient qu’on ne gagne pas sans elle. […] En refusant d’adhérer aux fantasmagories de la diversité et à bien d’autres de la même eau, en s’obstinant à tenter de comprendre ce qu’ils voient au lieu de voir ce qu’on les a priés de comprendre, les « nouveaux réacs » gâchent la fête. Ils ne sont pas, évidemment, immunisés contre l’erreur ou la tentation de devancer les attentes de leur public, voire de l’encourager dans ses tendances obsidionales. À supposer même qu’ils se trompent lourdement – ce qui serait une excellente nouvelle –, en quoi serait-ce une faute morale ? « Il y a quelques années, le quart de leurs propos aurait fait scandale 2 », observera, non sans candeur, une journaliste du Monde — sans pousser cependant la curiosité jusqu’à se demander si les propos en question étaient ou non scandaleux.

« A supposer même que les nouveaux réacs se trompent lourdement, en quoi serait-ce une faute morale ? »

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