Le néohumoriste donne des leçons, il est devenu l’un des agents de la bienpensance contemporaine ?
En devenant « humoristes », les amuseurs ont cristallisé sur eux des
fonctions autrefois éparses, celles d’analyste, de critique, de
philosophe, d’intellectuel, de journaliste. L’amuseur patenté bénéf icie
aujourd’hui d’une polyvalence qui lui permet, dès qu’il est interpellé
sur un terrain, de se retirer sur un autre. Il est nulle part et
partout. En particulier, il est révélateur de ce travers des médias
d’envisager les choses en basculant sans cesse d’un discours généraliste
à un avis de spécialiste. La pensée du général — on a un avis sur
tout — se complète du recours permanent à des spécialistes qui
surgissent du néant pour délivrer la vérité. Les humoristes jouent de
leur polyvalence, qui leur permet de parler de tout, en s’octroyant une
compétence universelle. « Journalistes de complément », pour reprendre
l’expression de Didier Porte, ils peuvent devenir sans transition
« humoristes de complément ». Ainsi, après avoir été évincé de France
Inter, Stéphane Guillon est devenu, entre autres flèches à son arc,
chroniqueur à Libération, ce qui illustre à la fois la réversibilité des
talents de la corporation, et la complète sécurité dont elle jouit,
quoi qu’en disent les intéressés.
Plus grave, n’existant que par la toutepuissance médiatique,
ils seraient passés du côté du pouvoir, ce qui est contraire à la
tradition franc-tireuse de l’humour ?
À l’époque des chansonniers, celle des caveaux, illustrée entre
autres par Raymond Devos, Pier re Dac, Francis Blanche ou Jean
Yanne, l’humour était la force du faible, le pouvoir de dire non, en
prenant de la distance et en gardant son quant-à-soi, parfois même en
retournant cette force contre soi dans un exercice d’autodérision.
Aujourd’hui l’humoriste a choisi son camp et l’humour est devenu la
force du fort. Peut-être faut-il ici retracer la généalogie des néo
humoristes, en remontant au début des années 1980. C’est le grand moment
de l’instrumentalisation de la culture par le pouvoir socialiste, de
l’enrégi mentement des artistes par Jack Lang dans une armée du bien.
Cette croisade vertueuse se fait au nom de grandes causes, comme
l’antiracisme républicain, qui oppose des officines telles que SOS
Racisme au Front national, dans une dramaturgie douteuse. Les amuseurs
sont très vite devenus des agents de cette croisade, et une
personnalité comme Coluche figure le pivot de ce bascule ment, dans sa
volonté de dire et de faire le bien.
lundi 18 juin 2012
Homo comicus, ou l’intégrisme de la rigolade
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