TOUT EST DIT

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mardi 27 septembre 2011

Aux Impôts à Athènes : « Trop tard, tout est asséché ! »

Les impôts en Grèce : aïe, aïe, le casse-tête ! Entre fraude et évasion fiscale, on ne compte plus les milliards perdus dans la nature. Pour avoir un aperçu de l'ampleur, nous avons passé une matinée avec la sous-directrice d'un centre des Impôts, à Athènes. Et rencontré sur le terrain des inspecteurs « mal à l'aise ». Instructif.  

  « Mais comment veux-tu que je paie 600 € d'un coup ? Tu vas faire quoi ? Me mettre en prison ? » L'homme, belles bacchantes balkaniques, brandit une feuille jaunie, griffonnée de chiffres. Il défend son bout de gras avec ardeur. « Tssst, tsst, ça peut s'arranger, tente de le calmer la fonctionnaire. Du moment qu'il te reste à manger, c'est l'essentiel non ? » Le contribuable glapit : « Eh, pouvoir dormir aussi ! »
Ce jour-là, Konstantina Georgopoulou, la sous-directrice du centre des impôts de Galatsi, quartier à l'ouest d'Athènes, a décidé d'être taquine : « Eh, on ne peut pas tout avoir dans la vie ! » Finalement ces deux-là s'arrangeront : l'homme aux bacchantes paiera en trois fois. « Faut de temps en temps blaguer avec les gens, dit en aparté Konstantina. Ils ont tellement le moral dans les chaussettes. Ils sont tellement angoissés, serrés de toutes parts ! »
On entre et on sort de son bureau comme dans un moulin. Et on négocie directement, dans un tutoiement délicieusement oriental. Les collaborateurs de Konstantina n'hésitent pas : « Si tu veux un arrangement, va voir la boss. Sa porte est toujours ouverte. »
Elle admet qu'il lui reste un peu de marge de manoeuvre. « Ici, on met de l'huile pour que la machine roule encore. » Dans un coin de la pièce, il y a des sacs postaux et même un chariot de supermarché, tous remplis de déclarations d'impôts. Mais on se dit que tout ça ne sera pas suffisant pour combler la dette du pays.
Les impôts ! Aïe, aïe, le casse-tête de la crise grecque. Sujet tabou ! Qui fait grincer des dents, cloue les becs et déclenche même des orages. « On est au bout, se tracasse Konstantina. Les salaires baissent, la pression fiscale augmente sans cesse. Et la collecte est de plus en plus difficile. Ce ne sont pas les gens du peuple qui font le plus de problème. Ce sont les ' grands ', autrement plus futés et à même de résister. »
Nous voilà au coeur de la machine infernale. La fraude fiscale. Évaluée à 15 milliards d'euros. « Notre système est une vraie passoire, bouillonne l'économiste Iannis Varoufakis. C'est devenu un sport national de ne pas payer les taxes. Et on peut parler dans certains cas d'immunité fiscale facilitée par la loi. »
« Les "grands" posent problème »
Yourgos Kordalos est inspecteur dans un service juridique des Impôts, à Athènes. Il fait la chasse aux fraudeurs. Il dit son « malaise » quand il faut arracher 50 € mensuels à un petit contribuable étranglé. Mais il raconte aussi « les 31 milliards d'arriérés » que l'État est incapable d'encaisser « parce que les entreprises ont fermé ou sont parties ailleurs ».
Il décrit les recours interminables devant les tribunaux : « L'évasion fiscale, ici, se fait au grand jour. Une firme doit 1 million d'euros au fisc. Elle fait opposition. Procédure pénale. On examine le dossier; ça dure des années; et encore opposition. Pendant ce temps-là, l'argent est parti. »
Il ouvre les bras en signe d'impuissance. « On a un énorme déficit de données sur les grandes fortunes. Normalement, en quelques clics d'ordinateur, on devrait y arriver. Mais non, il faut faire la demande à 150 services différents pour obtenir des informations. Il n'y a pas de véritable volonté politique de secouer tout ça. »
Toutefois, depuis le début 2011, un site gouvernemental affiche la liste de 6 000 entreprises qui doivent au fisc plus de 150 000 €. Et la chasse aux signes extérieurs de richesses (piscines, appartements, voitures...) est autorisée. « Mais faut les moyens pour traquer tout ça, rouspète Yourgos. On est deux dans le service et on passe notre temps au tribunal ! »
Ce système de « clientélisme, de corruption, de fraude » peut-il encore être réformé ? « Oui, rétorque l'économiste Iannis Varoufakis. Mais cette réforme arrivera trop tard. Tout est asséché. Tout ce qu'il y avait à drainer chez les salariés l'a été. Et ceux qui ont l'argent l'ont placé à l'étranger. Même si Dieu descendait en Grèce pour collecter les impôts, il n'aurait plus rien à extraire. »
Dans le bureau de la sous-directrice du centre des Impôts de Galatsi, le rythme des visites n'a pas baissé. Entre deux dossiers, Konstantina se laisse aller à quelques confidences. « J'ai un garçon de 30 ans et deux filles de 23 et 22 ans. Deux n'ont pas de travail, malgré les diplômes. Qu'est-ce que je leur dis ? À une époque, j'étais du bon côté pour négocier avec le parti, dont j'étais proche (la droite était au pouvoir, N.D.L.R.). Je n'ai pas abusé. Je ne suis pas intervenue. J'ai préféré donner la possibilité à mes enfants d'arriver par leurs propres moyens plutôt que de recourir au clientélisme. Je le regrette. Je me sens coupable. » Dans la Grèce épuisée, il va être long le chemin pour changer les mentalités !

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