TOUT EST DIT

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lundi 7 mars 2011

Etats-Unis : la grande bataille contre le syndicalisme

Les Américains n'ont pas l'habitude de descendre dans la rue. Et pourtant, depuis plus de deux semaines, les banderoles flottent autour du capitole de Madison (Wisconsin), qui a été occupé par des centaines de syndicalistes. Samedi, le réalisateur Michael Moore est venu s'adresser aux dizaines de milliers de manifestants rassemblés. Voilà huit jours, à Colombus, Ohio, près de 8.000 personnes faisaient le siège du parlement local. Les élus démocrates du Wisconsin et de l'Indiana ont fui leurs Etats respectifs pour se réfugier dans l'Illinois voisin. Ils veulent empêcher d'atteindre le quorum dans leurs assemblées législatives, où sont présentés des textes anti« unions ». C'est leur façon de résister à l'incroyable offensive engagée par les républicains contre les syndicats du secteur public, qui se voient réclamer des sacrifices financiers, l'abandon du droit de négociation collective, quand ce n'est pas la suppression du droit de grève.

Depuis 1981, date à laquelle Ronald Reagan a licencié 11.000 contrôleurs aériens d'un seul geste, il n'y avait pas eu d'attaque aussi frontale contre le syndicalisme aux Etats-Unis. Cette résurgence a plusieurs explications et sert des objectifs multiples, économiques comme politiques.

Quelques-uns des nouveaux gouverneurs républicains, élus lors du dernier scrutin de novembre, ont en effet saisi le prétexte de la crise fiscale qui les accable pour s'en prendre à ces acteurs trop protégés à leur goût. Les 50 Etats - qui ont l'obligation d'équilibrer leurs finances -doivent combler un trou qui représente un total de 125 milliards de dollars cette année. Ayant promis un retour à l'orthodoxie budgétaire, la droite veut que les syndicats participent à l'effort. Les républicains ont trouvé une première justification évidente : le manque de financement des fonds de retraites des employés du secteur public est estimé entre 1.000 et 3.000 milliards de dollars, et il appartiendra aux Etats de trouver l'argent.

A l'heure où le chômage est encore à 8,9 %, les avantages des fonctionnaires locaux (une certaine sécurité de l'emploi, retraites assurées et assurance-santé) leur collent une image de nantis. Newt Gingrich, un candidat potentiel du Parti républicain pour l'élection présidentielle de 2012, définit les « unions » comme une élite repliée sur ses privilèges. Leur puissance -36,2 % des salariés du secteur public sont syndiqués, contre 6,9 % dans le privé -agace souvent. A New York, Michael Bloomberg menace de licencier 4.600 professeurs si leur syndicat n'accepte pas une réforme conditionnant les départs à la performance et non à l'ancienneté.

Pour obtenir des concessions, les gouverneurs profitent du fait que les relations avec les syndicats publics se régulent Etat par Etat, contrairement à celles avec les syndicats du secteur privé qui sont régis par une loi fédérale, le Wagner Act (1935). Leurs demandes vont très loin. Afin de réduire le déficit budgétaire du Wisconsin, qui s'élève à 3,6 milliards de dollars, le gouverneur républicain Scott Walker est prêt à supprimer 21.000 emplois publics. Dans la foulée, il veut obtenir que les syndicats soient « recertifiés » chaque année, que les syndiqués paient davantage pour leurs retraites et leur assurance-santé et que le champ de la négociation collective soit circonscrit aux seuls salaires. Dans l'Ohio, où le déficit est double, le gouverneur, John Kasich, veut imposer des mesures identiques mais cherche aussi à obtenir la suppression du droit de grève. S'il obtient gain de cause, une infraction sera punie d'une amende de 1.000 dollars et de trente jours de prison. Enfin, dans l'Indiana, les législateurs veulent passer un texte qui interdirait l'obligation d'adhérer et de cotiser à un syndicat. Il s'agit là d'un des particularismes du syndicalisme américain. Dans certains Etats, on parle d'« union shop », c'est-à-dire qu'un nouveau salarié devient automatiquement membre du syndicat local, auquel il versera une contribution annuelle. C'est ce qui a fait la force des camionneurs ou des ouvriers de l'automobile dans le Midwest, par exemple.

En partant en guerre contre les « union shops », les républicains cherchent aussi à assécher les finances des syndicats. Non seulement ces derniers ne vont plus avoir les ressources nécessaires pour fonctionner, mais ils vont devoir diminuer leurs dons. Or ils sont les principaux bailleurs de fonds du Parti démocrate. Ils ont déboursé plus de 600 millions de dollars lors des élections de 2008 et de 2010. Une campagne contre les syndicats peut grandement affaiblir le parti de Barack Obama à la veille de la présidentielle de 2012. Et ce alors qu'une décision de la Cour suprême des Etats-Unis autorise les entreprises, au titre du premier amendement, à financer sans limite les candidats de leur choix.

A l'instar de Scott Walker, les nouveaux gouverneurs républicains ont d'ailleurs profité des largesses de groupes privés pendant leur campagne. Comme celui des frères Koch, des milliardaires qui ont fait leur fortune dans le pétrole au Kansas, et qui financent le Tea Party. Leur objectif : privatiser ce qui peut l'être, en conquérant des services jusque-là publics, et imposer le « right to work » dans les Etats (c'est-à-dire refuser le syndicalisme). Paul Krugman, le prix Nobel d'économie, et l'ensemble de la gauche avec lui voient dans ces manoeuvres « une tentative d'utiliser la crise fiscale pour détruire le dernier contrepoids au pouvoir politique des entreprises et des plus riches ».

Les plus optimistes y voient à l'inverse une occasion historique de revitaliser le syndicalisme en Amérique. L'opinion publique n'est pas contre eux. Un récent sondage « New York Times » - CBS News montre que 60 % des Américains refusent qu'on affaiblisse le pouvoir de négociation collective et que, à 56 %, ils sont contre une baisse des salaires ou des avantages des salariés du public pour réduire les déficits. Sur le terrain, les syndicalistes sont galvanisés. Devant le State Capitole de Columbus, dans l'Ohio, une pancarte « Walk Like an Egyptian » illustre bien ce nouvel état d'esprit.

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