C’est un éditorial pour lequel on aurait envie de demander un joker.
Peu de sujets sont aussi difficiles à traiter que l’euthanasie. La question défie la raison. Ses tourments trouvent leur source au plus profond de la conscience, de l’éthique de la vie, de la conception de la mort et d’une certaine idée de la liberté face aux diktats les plus insupportables de la condition humaine. Un terrible carrefour intérieur où se télescopent la certitude et le doute. Le mystère et la conviction. La morale et l’affranchissement.
Il n’y a pas d’échappatoire pourtant à ce rendez-vous avec soi-même que la société transforme peu à peu en interrogation collective. Suis-je, oui ou non, maître de mon existence jusqu’à son extinction? Suis-je, oui ou non, propriétaire de ma propre mort? La prudence intime et les préventions politiques refoulent volontiers cette introspection personnelle...
La loi de 2005, dite Leonetti, ne répond que partiellement à l’intention, universelle, de mourir dans la dignité. En ouvrant à un patient le droit de demander l’arrêt d’un traitement, elle permet le «laisser-mourir». Et elle constitue un grand progrès, même si les soins palliatifs ne sont pas forcément un substitut satisfaisant. Mais elle ne donne pas accès à une autre dimension, plus radicale: la demande de mourir. Autrement dit, au suicide assisté. Au refus d’une cruauté inutile. Au rejet d’une torture qui n’a aucun sens sauf pour ceux qui considèrent l’épreuve de la douleur comme une rédemption religieuse.
Théoriser sur l’acceptation de la déchéance physique quand on parle des autres et qu’on est soi-même en pleine possession de ses moyens, c’est assez facile. Mais il est tout aussi facile de préjuger de son intention d’en finir quand on sera diminué au-delà de l’acceptable. En vérité, on ne sait pas comment on réagira. On ne sait rien... Il n’y a pas de modèle. Pas de destin pré-écrit, et c’est précisément cette incertitude qu’il est pratiquement impossible de codifier. Quant à la frontière entre le droit et tous les abus qu’on peut imaginer, elle serait forcément ténue.
Dès lors, on peut parfaitement comprendre les réserves de personnalités de toutes appartenances et de médecins à l’égard du projet sur la mort assistée. Le texte, proposé par des sénateurs de droite et de gauche et totalement amendé par le gouvernement, a rassemblé pour lui - ou mobilisé contre lui - au-delà des frontières politiques traditionnelles. Il était raisonnable à la fois dans sa volonté de dépasser les hypocrisies du tabou actuel, et dans son souci de multiplier les garde-fous contre le n’importe quoi d’un consumérisme effrayant. Mais la vigueur des oppositions, respectables, qu’il suscite montre que la société française n’est pas encore tout à fait prête à laisser à la volonté du patient une force décisive à l’heure de fixer lui-même le moment de son grand départ.
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