D’où vient l’argent que la banque centrale chinoise (People’s Bank of China) utilise pour acquérir une quantité importante de dettes étatiques libellées en euros ? Quelle est la réalité des objectifs poursuivis par les autorités chinoises ?
Certes, les Chinois épargnent (comme les Français ou les Italiens d’ailleurs), mais ce n’est pas l’épargne des agents privés chinois, constituée dans une monnaie inconvertible, le yuan, qui est prêtée à la zone euro ou aux USA. En réalité les dollars ou euros prêtés par la Chine, proviennent de l’accumulation par la banque centrale chinoise de phénoménales réserves de change.
La détention par une banque centrale de réserves de change est normale. Elle est, par principe, destinée à assurer la liquidité opérationnelle d’une économie vis-à-vis de l’extérieur(2). La finalité des réserves de change est ainsi définie par les directives du FMI pour la gestion des réserves de change comme devant permettre de « susciter et maintenir la confiance dans la politique monétaire et de change…, limiter la vulnérabilité externe en maintenant des réserves liquides de change…et ce faisant donner aux marchés l’assurance que le pays est en mesure de remplir ses obligations extérieures ». Quantitativement on estimait, traditionnellement, qu’un pays disposait de réserves suffisantes lorsque ses réserves permettaient d’assurer 3 mois d’importations, puis après l’expérience des crises financières des années quatre vingt dix (crise mexicaine, crises asiatiques, crise argentine) la règle dite Greenspan-Guidotti a recommandé de fixer le montant de ces réserves au niveau de la dette extérieure à court terme du pays concerné. Or les réserves de change accumulées par la Chine excèdent, et de beaucoup, ces montants.
Pourquoi la Chine a-t-elle accumulé de telles réserves de change ?
La réponse est connue : c’est pour maintenir une sous évaluation importante du yuan et conférer ainsi à l’économie chinoise l’hyper compétitivité qui lui a permis de connaître une décennie de développement exceptionnel.
Comment la constitution de réserves de change peut-elle empêcher une monnaie de s’apprécier ?
Le bilan d’une banque centrale est schématiquement composé :
• à l’actif, de ses réserves de change (or et devises) ainsi que de ses créances sur son Etat et les établissements de crédit de son système financier ;
• au passif, de la monnaie nationale qu’elle émet, ainsi que de ses dettes à l’égard de son Etat et des établissements de crédit de son système financier.
Lorsque le solde global des opérations courantes (exportations et importations de biens et services, investissements directs et opérations financières) d’un pays ou d’une zone monétaire est excédentaire, la banque centrale de ce pays ou de cette zone peut laisser s’apprécier la monnaie qu’elle a émis pour équilibrer son bilan. Cette appréciation de la monnaie de ce pays ou de cette zone, par rapport aux monnaies de ses partenaires économiques, réduira la compétitivité de ce pays ou de cette zone ce qui tendra à amener ses opérations courantes à l’équilibre.
Mais les interventions d’une banque centrale sont, également et a priori,toujours possibles lorsqu’il s’agit de d’empêcher l’appréciation d’une monnaie(3). Une banque centrale, agissant de concert avec les autorités financières de son pays ou de sa zone, peut en effet conserver les devises procurées par un solde excédentaire de ses opérations courantes et équilibrer l’augmentation du poste d’actif « réserves de change » de son bilan par une création de monnaie nationale. Cette création de monnaie nationale en augmente la masse totale ce qui tend à la déprécier, ou, à tout le moins, à l’empêcher de s’apprécier. La valeur de la monnaie nationale n’augmentant pas, l’économie du pays conserve ou améliore encore, dans un premier temps, sa compétitivité ; en revanche la masse monétaire augmentant ce pays connaitra des tendances inflationnistes, lesquelles si elles ne sont pas suffisamment contrôlées pourront, à terme, affecter la compétitivité du pays.
Les autorités chinoises ont intelligemment observé et compris l’économie mondiale avant de participer à la « globalisation ». Après que l’éclatement du système de Bretton Woods fut officialisé en 1976, elles ont commencé, dès 1978, à déprécier le yuan pour réduire en 15 ans par trois sa valeur par rapport au dollar, tout en conservant au yuan son inconvertibilité. Puis, lorsqu’elles se sont senties prêtes, elles ont adhéré à l’OMC pour bénéficier de la suppression de barrières douanières tout en se dotant, avec un yuan sous évalué, d’un outil efficace de protectionnisme monétaire. Grande économie émergente, l’économie chinoise restait, dans un système économique mondialisée, une économie asymétrique (avec au début du 21ème siècle un PIB per capita de 30 à 40 fois inférieur à celui des économies nord-américaines, japonaise ou européennes) pour laquelle l’accumulation de réserves permettait de conserver une hyper compétitivité que l’inflation interne (malgré tout, partiellement contrôlée) ne pouvait pas réduire rapidement. Les autorités chinoises réagissent généralement assez vivement lorsqu’il est reproché à la Chine d’avoir recours au protectionnisme monétaire. Celui-ci est pourtant indiscutable comme les principaux agrégats de la comptabilité nationale chinoise le démontrent. La Chine a en effet, depuis le début du 21ème siècle, augmenté annuellement ses réserves de change d’un montant équivalent à celui des soldes globaux de ses opérations courantes (exportations et importations de biens et services, investissements directs et opérations financières), ce qui a empêché, d’une part le yuan de s’apprécier et d’autre part à la balance des paiements chinoise de tendre vers une position d’équilibre.
Les réserves de change chinoises - cliquer sur le tableau ci-contre pour zoomer(4) - sont manifestement excessives et leur accumulation (avec celle des réserves de change d’autres pays ayant mené, souvent pour d’autres raisons, des politiques de change similaires) a, également fortement contribué aux grands déséquilibres mondiaux, qui sont à l’origine de la crise(5). Ces réserves ont dépassé, et de loin, les niveaux (suivant la règle Greenspan-Guidotti) assignés généralement à ces réserves, puisque la dette extérieure à court terme de la Chine était, en 2009, de 260 Milliards d’USD, alors que ses réserves de change de 2400 Milliards d’USD représentaient plus de 9 fois ce montant. A titre de comparaison les réserves de change cumulées de la France et de l’Allemagne sont d’un ordre de grandeur de 400 Milliards d’USD pour un PIB cumulé supérieur à celui de la Chine. La constitution par la Chine de réserves de change excessives ne s’explique que par la volonté de maintenir le yuan sous-évalué pour maintenir l’hyper compétitivité de l’économie chinoise.
Les soldes largement excédentaires, à partir de 2001/2002, de la balance chinoise des paiements auraient permis une hausse du yuan, dès cette époque. Les autorités chinoises ont finalement, tardivement (puisqu’à partir seulement de 2005) laissé leur monnaie s’apprécier mais de manière encore insuffisante. Avec un yuan moins sous-évalué, la croissance chinoise eut été, certes, légèrement moins forte, moins fondée sur les seules exportations, mais la Chine aurait, par ailleurs, moins souffert de l'inflation, son marché intérieur se serait mieux développé et l’économie mondiale aurait été moins engorgée par l’excès de liquidité monétaire.
Pourquoi la Chine veut-elle acquérir des dettes étatiques libellées en euros ?
Tout simplement pour poursuivre sa stratégie de développement et maintenir le yuan sous évalué par rapport à l’euro. Par ailleurs, la rentabilité des titres de dettes publiques libellées en euros est bien meilleure que celle des titres de dettes publiques libellées en dollars, ce qui permet à la banque centrale chinoise de faire d’une pierre deux coups : diversifier ses réserves de change tout en leur assurant une meilleure rentabilité immédiate. La Chine ne croit guère au risque de défaut de certains pays de la zone euro, mais en toute hypothèse elle ne recherche pas à faire des placements mais surtout à ancrer solidement son industrie dans le système économique mondial en continuant à profiter du système de protectionnisme monétaire à l’abri duquel elle a assuré la formidable expansion de son économie. L’Europe lui fournit un relai pour quelques années avant que les effondrements relatifs des économies européennes et américaines ne l’incitent à assurer son développement par son marché intérieur. Mais cela sera une autre histoire.
Globalement, pourtant la zone euro n’a pas besoin, pour le moment en tout cas, de concours extérieurs. Le solde des opérations courantes, financières et en capital de la zone euro est quasiment à l’équilibre. Les pays excédentaires de la zone euro (Allemagne, Pays bas, Autriche) pourraient assurer le financement des pays déficitaires. Ils ne le font pas, parce que leurs agents privés et publics n’ont plus confiance dans les économies des pays déficitaires.
(1)Lors de l’émission de télévision du 5 janvier 2011 de France 2 « Face aux Français ».
(2)Directives pour la gestion de réserves de change du 20 septembre 2001du Fonds Monétaire International téléchargeable sur http://www.imf.org/external/np/mae/ferm/fra/guidef.pdf Discours du gouverneur de la Banque de France du 1er octobre 2007 sur « les implications systémiques de l’accumulation des réserves de change» ; téléchargeable sur http://www.banque-france.fr/fr/instit/telechar/discours/disc20071001.pdf
(3)Rapport n° 80 du Conseil d'Analyse Economique sur « la politique de change de l'euro » ; en particulier Michel Didier (pages 40 et s.) ; téléchargeable sur http://www.cae.gouv.fr/IMG/pdf/080.pdf.
(4)Téléchargeable sur http://www.ambafrance-cn.org/IMG/pdf/bulletin_economique_chine_no29_octobre_2010_.pdf. Attention, le montant mentionné en page 17 des réserves de change pour 2009 comporte une erreur d’addition. Il faut se reporter aux chiffres de la page précédente ou corriger l’erreur en refaisant l’addition
(5)Sur les dangers de l’accumulation excessive de réserves de change, voir le discours du gouverneur de la Banque de France cité sous note 2 ; voir également sur ce site http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/221129994/connaitre-les-causes-de-la-crise-pour-la-combat
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire