mercredi 26 janvier 2011
L'emploi public garanti à vie, un fétichisme français
Franchement inutile. » Lundi 10 janvier, le Premier ministre François Fillon a sèchement clos le débat lancé par le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Christian Jacob, sur « la pertinence de l'embauche à vie des fonctionnaires ». Question inopportune, peut-être, venant juste après celle sur l'abrogation des 35 heures, mais sûrement pas illégitime aux yeux de François Fillon, lui qui écrivait, en 2006, dans son livre « La France peut supporter la vérité » : « Qu'une nouvelle thématique de recherche émerge ? Il faut aussitôt créer des nouveaux postes de chercheurs à vie ! » Etre fonctionnaire implique-t-il de jouir du privilège de la sécurité de l'emploi ? La réflexion ne peut être évacuée d'un mot car elle a inspiré une profonde évolution des cadres généraux de l'emploi public dans de nombreux pays de l'OCDE. Elle reste dérangeante dans un pays comme la France dont le président s'est dit ouvert - c'était il y a un an, le 25 janvier 2010 -à la titularisation progressive des contractuels de la fonction publique, un mouvement à rebours de la tendance générale. Le ministère et les syndicats de la Fonction publique se retrouvent d'ailleurs aujourd'hui pour continuer de négocier sur cet objectif dont l'ambition initiale a été entre-temps revue en baisse.
La garantie d'emploi des fonctionnaires français est une pratique plus qu'un droit. L'Etat peut licencier un agent pour insuffisance professionnelle. Mais cette faculté reste extraordinairement peu utilisée. Vingt ans après le « nouveau » statut de 1983, « seuls 55 agents publics, toutes fonctions publiques confondues, avaient été licenciés pour ce motif », pointe Agnès Verdier-Molinié, du think thank Ifrap. Ouverte par une loi d'août 2009, la possibilité de licencier un agent qui aurait refusé six offres suite à une réorganisation administrative est trop encadrée pour ouvrir une brèche dans la garantie d'emploi. Celle-ci découle de l'identité même de notre fonction publique, dite de « carrière » (par opposition à la fonction publique d'« emploi », qui recrute, comme aux Etats-Unis, pour exercer un métier).
Même si elle est issue de notre conception colbertiste de l'Etat, cette sécurité de l'emploi, inscrite en filigrane dans le statut de 1946, s'est justifiée au lendemain de la Deuxième Guerre par la nécessité de garantir l'indépendance d'une administration bien moins pléthorique qu'aujourd'hui à l'égard du politique. Et bien qu'elle porte la marque du communiste Maurice Thorez, alors vice-président du Conseil, il faut se garder de trop y voir le reflet d'une idéologie. L'Espagne, l'Italie, le Portugal ou la Belgique ont aussi opté, à l'origine (la plupart dans les années 1960), pour des fonctions publiques de carrière, dont les agents ont longtemps eu un statut dérogatoire du droit commun du travail.
Néanmoins, la plupart des pays de l'OCDE disposant d'un système de carrière et d'un statut protecteur pour leurs agents ont entrepris, dès le milieu des années 1980, de le faire évoluer. Au Portugal, depuis 2008, « la majorité des emplois de l'administration publique est passée sous le régime du droit général du travail, sauf les emplois liés à la souveraineté nationale », note l'OCDE (1). En Italie, « des exceptions subsistent », mais « le droit privé a progressivement été appliqué à de nombreux secteurs de l'emploi public ». Sans remettre en cause ni la carrière ni le statut, l'Espagne a assoupli le recrutement pour rapprocher compétences du candidat et exigences des postes à pourvoir.
Partout, d'ailleurs, sauf en France où il garde le monopole d'accès au statut, « la portée théorique du concours, quand il y en a un, a été sérieusement limitée », relève Elsa Pilichowski, responsable du département Emploi public de l'organisation internationale. Avec son statut rigide, auquel sont attachés emploi à vie et recrutement par concours, « le modèle français de fonction publique est plus isolé qu'il y a vingt ans », analyse Elsa Pilichowski, qui ne lui trouve plus que deux équivalents, en Corée du Sud et au Japon. Avec une différence de poids : dans ces deux pays, l'administration ne représente que 5 % de la main-d'oeuvre totale, mais 20 % en France. Dans un « Livre blanc sur l'avenir de la fonction publique » remis en avril 2008 au gouvernement, le conseiller d'Etat Jean-Ludovic Silicani relevait que la France est, parmi les sept économies les plus développées, celle qui consacre le plus (13 % de son PIB) à la rémunération des agents des collectivités publiques.
A peine contenue, désormais, par le remplacement partiel des agents de l'Etat partant en retraite, cette hypertrophie du service public invite à s'interroger sur le coût collectif de la garantie de l'emploi de fonctionnaires appelés à relever d'autres défis que ceux de 1946 : la performance et l'adaptabilité, l'efficacité et la proximité. Ces nouvelles valeurs du service public exigent flexibilité plutôt que rigidité. Agnès Verdier-Molinié pose une question pertinente : « En quoi la sécurité de l'emploi est-elle aujourd'hui un facteur de qualité du service public ? »
Peu réputée pour son libéralisme échevelé, la Suède, dont le tiers de la population active est fonctionnaire ou assimilé, concilie bien mission de service public et droit commun du travail. La plupart des agents y sont couverts par une convention collective offrant, à défaut d'emploi à vie, des préavis plus longs que dans le privé. Seuls les militaires, policiers, magistrats y bénéficient d'un statut avec emploi à vie. En Allemagne, c'est le cas de 40 % seulement des agents, ceux de l'administration centrale, dévolus eux aussi aux fonctions « souveraines ». Distinguer entre une fonction publique régalienne (défense, police, justice, diplomatie) bénéficiant d'une sécurité de l'emploi statutaire, et une fonction publique ordinaire (celle des enseignants, des personnels hospitaliers...) régie par le droit commun du travail : l'idée avait été émise par le rapport Silicani pour être aussitôt écartée. « Cela conduirait à faire basculer 4,6 millions d'emplois [sur 5,3 millions] s ous le régime du contrat », notait l'auteur. Impensable, vraiment ? Surtout, à vrai dire, tant que l'Etat français, piètre employeur, continuera de traiter ses contractuels avec un mépris qui fait du contrat un repoussoir absolu.
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1 commentaires:
JE découvre votre article avec un vif intérêt. Contenu original et intéressant.
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