jeudi 20 janvier 2011
L'Europe et ses histoires difficiles
Le 22 janvier marque le 48e anniversaire du traité de l'Élysée, qui formalisa l'amitié entre la France et l'Allemagne. Cette amitié, née des cendres de la guerre, a valeur de réconciliation exemplaire. Grâce à l'action des gouvernements, de médiateurs engagés comme Alfred Grosser et Joseph Rovan, mais aussi de jumelages entre de nombreuses communes françaises et allemandes, le passé douloureux a pu être surmonté intelligemment.
L'histoire de l'Europe est faite de guerres, et donc de mémoires difficiles. Le devoir des peuples est de les surmonter pour s'assurer d'un destin démocratique. Il ne s'agit pas d'oublier l'Histoire, mais de chercher à la dépasser par l'explication en visant la réconciliation.
Depuis la chute de la guerre froide, des progrès notables ont été accomplis en Europe. L'Allemagne et la Pologne ont ainsi engagé un dialogue qui a été marqué par la reconnaissance allemande de la frontière Oder-Neisse, par la création d'un office germano-polonais de la jeunesse permettant les échanges de jeunes.
Le processus n'est pas sans embûche : des associations de familles d'Allemands expulsés de territoires aujourd'hui polonais (Silésie, Poméranie) expriment toujours des demandes de restitutions, avec un radicalisme en complet décalage avec la majorité de la société allemande. La Pologne a également engagé une réconciliation avec l'Ukraine et surtout la Russie. La reconnaissance par la Russie de la responsabilité soviétique dans le massacre des officiers polonais, en 1940, à Katyn, suivie de la projection en Russie du film du polonais Andrzej Wajda sur le sujet, ont été des pas marquants.
Depuis vingt ans, la fin de la guerre froide a mis au jour les entreprises de destruction de nombreux peuples d'Europe centrale et orientale, pris en étau entre deux totalitarismes : le nazisme et le communisme. À cet égard, la mémoire des massacres commis au XXe siècle diffère parfois en Europe. À l'Ouest, l'événement fondamental reste l'extermination des juifs par Hitler et Auschwitz. À l'Est, elle concerne souvent les massacres commis par Staline. Il y a là une différence, parfois source de controverses, dont la nouvelle Europe réunifiée doit parler.
Ces grands pas ne doivent pas faire oublier l'énorme travail qui reste à faire. L'ancienne Yougoslavie est, de ce point de vue, un chantier, si l'on veut que ses pays rejoignent un jour, comme la Slovénie, l'Union européenne. Basé à Salonique en Grèce, le « Centre pour la démocratie et la réconciliation en Europe du Sud-Est » a lancé un projet en direction des professeurs d'histoire de la région, afin de rompre avec un enseignement nationaliste de l'histoire des Balkans. Un manuel d'histoire, traduit dans plusieurs langues de la région, a été produit. Il est ¯ hélas ¯ encore peu utilisé dans les écoles serbes, croates ou macédoniennes.
Le destin démocratique de l'Europe nécessite que nous soyons conscients de nos histoires difficiles. Il en est de même face à notre histoire nationale. Il faut continuer à comprendre ce que furent vraiment le régime de Vichy, les guerres coloniales ou encore le sort des harkis. Ce travail amène au contraire du nationalisme qui cherche à mythifier l'histoire. Restons vigilants pour que ce nationalisme-là ne retrouve pas sa force en Europe.
(*) Directeur du Centre d'Études et de Recherches Internationales, Sciences Po Paris.
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