Il est difficile de commencer l'année par un remords. Et pourtant, il faut en passer par là. L'an dernier à la même époque, il semblait raisonnable de souhaiter une bonne décennie, pour sauter par-dessus une année 2010 qui semblait perdue d'avance. Finalement, l'année écoulée n'a pas été si mauvaise, sans être bien sûr grandiose. Les petites promesses ont été tenues. La croissance est revenue partout, sauf dans les pays européens les plus durement frappés par la crise comme la Grèce, l'Irlande, la Lettonie et l'Islande. Les déficits publics ont commencé à reculer. La France a même recommencé à créer des emplois. Mais les années suivantes s'annoncent douloureuses. Les efforts d'ajustement budgétaire requis sont massifs en Europe. Ils n'ont même pas commencé aux Etats-Unis. Et le grand rééquilibrage planétaire reste à faire. Les pays qui avaient dopé leur croissance par l'exportation doivent trouver en eux-mêmes les ressorts du dynamisme, de l'Allemagne à la Chine et au Japon. Les pays qui ont soutenu leur activité par l'endettement, qu'il ait été public ou privé, doivent de leur côté retrouver de la compétitivité, et cela vaut pour la France comme pour les Etats-Unis ou l'Espagne.
Comment en arrive-t-on à cette perspective d'une décennie de douleurs, alors que le pire a été évité après un séisme financier d'une brutalité sans précédent depuis près d'un siècle ? En réalité, c'est sans doute la politique menée pour éviter le pire qui nous amène là. Au lieu de payer cash, comme dans les années 1930, nous avons préféré étaler la montagne de problèmes dans le temps, avec le rouleau à pâtisserie de l'endettement public, qui atteint des niveaux sans précédent en temps de paix. Les annuités seront énormes : au lieu de subir tout de suite un effondrement de la production de 20 % ou de 30 %, nous avons amputé le potentiel de croissance à moyen terme. Dans l'urgence de la fin 2008, personne n'a proposé d'autre choix que celui-ci, qui était parfaitement justifiable. Mais ce choix a des conséquences auxquelles nous n'échapperons pas. Les Etats devront rembourser, et, pour ce faire, ils devront baisser leurs dépenses et augmenter leurs impôts. Ou ils devront faire défaut sur leur dette.
Cette hypothèse de la faillite n'est plus réservée aux Etats exotiques. Même les plus grands pays sont menacés. Les agences de notation ont d'ailleurs signalé que le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et même les Etats-Unis pourraient avoir un jour un problème. C'est un changement radical, qui va bouleverser toute la finance dans les années à venir. Car la finance moderne a été bâtie à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale sur des fondations considérées comme plus solides que le béton : les obligations publiques du Trésor américain. Elle s'est internationalisée dans les années 1970 sur ce socle. Or, aujourd'hui, ce socle est fissuré. Les investisseurs du monde entier n'ont plus de référence absolue en matière de sécurité. L'actif sans risque a disparu !
Pour l'instant, les investisseurs continuent (heureusement) d'acheter de la dette publique. Ils en ont l'habitude. Ils en ont aussi l'obligation, avec les nouvelles règles prudentielles imposées aux institutions financières (drôle de vocabulaire, tant l'achat de titres publics peut sembler aujourd'hui imprudent). Surtout, ils ne savent pas quoi acheter d'autre. Aucun émetteur n'est capable d'offrir autant de titres aussi homogènes et donc faciles à échanger sur les marchés. Mais l'habitude, la contrainte et l'absence d'alternative constituent des motifs fragiles. Les gérants de fonds cherchent désespérément d'autres canaux. D'où la ruée des capitaux dans les pays émergents, la flambée de l'or, les délires des prix de l'immobilier ou le succès des obligations émises par les grandes entreprises.
Pour l'instant, cette fuite devant la dette des Etats reste marginale. Mais elle va fatalement se développer au fil des mois et des années, quand l'incapacité des Trésors à honorer leurs engagements deviendra de plus en plus évidente. Qui peut par exemple encore croire que Tokyo remboursera l'intégralité de sa dette publique, qui dépasse deux années de production, dans un Japon où la population diminue ? Privés d'ancrage, les marchés financiers vont devenir beaucoup plus volatils que par le passé. Ce n'est pas forcément une catastrophe, mais il vaut mieux le savoir. Bienvenue dans la décennie nouvelle !
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