mercredi 29 décembre 2010
Le sacré a toujours du sens
On n'en a pas fini avec le sacré. Dès les années 1960, on parlait pourtant de son « éclipse », de son retrait d'une société enfin débarrassée des superstitions et autres « fadaises » plus ou moins religieuses. La science et la technique avaient accompli leur oeuvre de désacralisation. Or, cinquante ans plus tard, voilà que deux scientifiques insistent au contraire sur sa permanence. Jean-Pierre Dupuy, professeur à l'École polytechnique, en voit la « marque » (1) profondément inscrite dans plusieurs phénomènes sociaux. Ils témoignent du besoin de quelque chose d'« extérieur » à la société, sans lequel celle-ci court à l'asphyxie et à la désagrégation.
C'est que le sacré est au fondement de la société. Bien qu'agnostique, l'anthropologue Maurice Godelier le rappelle en refusant l'identification du sacré et du religieux (2). « Est sacré, dit-il, ce que l'on ne peut ni vendre ni donner, mais qu'il faut garder pour le transmettre comme support d'identité. » Le religieux n'en est que l'une des formes.
Le sacré recouvre l'ensemble des réalités qui inspirent un infini respect. On n'y touche pas sans attenter à l'essentiel. Rien d'étonnant à ce que le terrain des tours jumelles de New York ait été intronisé « espace sacré », après le 11-Septembre 2001, comme peuvent l'être notre Arc de triomphe ou le camp d'Auschwitz. Rien de surprenant à ce que des injures à la Marseillaise aient suscité un débat pour atteinte au « sacré de la République ».
Et que dire de la réaction d'une jeune fille dont le corps est effleuré sans son accord ? Même loin de l'horizon du viol, le geste signifie déjà une prise de possession de ce que l'on nommait autrefois le « sanctuaire » de la personne. Le sacré fonde l'interdit. On pourrait aussi évoquer le combat des anti-OGM fondé, quoi qu'ils en disent, sur une forme de sacralisation de la nature. Et puis, il suffit d'écouter les enfants. Leurs questions vont presque toujours au coeur des choses où ils découvrent une dimension cachée que l'adulte, aussi « sérieux » que le « gros monsieur rouge » du Petit prince, croira enfouir au plus profond.
Au sacré détourné par les régimes totalitaires ¯ cérémonies de Nuremberg ou mystique du « petit père du peuple » ¯ il reste à opposer celui qui habite chaque personne et qui fonde le respect et la sauvegarde de soi-même. Ainsi que le rappellent Godelier ou Philippe Pédrot (3), « il n'est pas vrai que tout est à vendre ». Il est un seuil où le marché et une conception radicale des droits de l'homme doivent savoir abdiquer. On n'insiste pas assez sur le fait qu'un libéralisme culturel, prompt à proclamer le droit de disposer de soi et souvent très critique à l'égard du libéralisme économique débridé, finit par s'en faire le complice au nom d'une autonomie sans limite. Pourquoi, dit-il, refuser la gestation pour autrui ou la vente des organes si cela peut faire le bonheur des uns ou des autres ?
La référence au sacré, dans ces domaines comme dans tant d'autres, ne fournit pas de réponses toutes faites, mais elle doit conduire à ne les aborder, comme disait Kierkegaard, qu'avec « crainte et tremblement ». Comme un garde-fou.
(1) La marque du sacré, Carnets Nord.
(2) Au fondement des sociétés humaines, Flammarion.
(3) Les seuils de la vie, Odile Jacob.
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