La Chine ne s'en cache même pas. Il y a des secteurs stratégiques dans lesquels les industriels étrangers ne peuvent être au mieux que les partenaires minoritaires d'acteurs chinois. Les Etats-Unis l'admettent tout autant : les prises de contrôle de groupes stratégiques par des investisseurs non américains ne sont pas interdites par principe, mais restent soumises à un long processus d'approbation débouchant régulièrement sur un « no ». La France serait donc bien naïve si elle s'avérait être la seule à laisser filer vers l'étranger sans broncher ses pépites ou ses centres de décision. Le gouvernement Villepin avait d'ailleurs, en 2005, indiqué que, dans certains secteurs clefs, l'Etat souhaitait disposer d'un droit de regard.
Que les pouvoirs publics s'opposent au rachat d'Ingenico par un groupe américain n'est ainsi pas en soi choquant. Non seulement cette entreprise technologique est active dans l'univers de la défense et de la sécurité via ses produits de cryptologie, mais l'Etat est en outre déjà un actionnaire - certes indirect, via Safran -de ce groupe. On est donc loin de l'imbroglio dans l'univers du yaourt qui avait vu le gouvernement agir en coulisse pour dissuader Pepsi de partir à l'assaut de Danone.
Cela dit, au moment où la France s'énerve de voir Eurostar commander des trains chez Siemens plutôt que chez Alstom, ou alors que le ministère de la Défense a été tenté de bloquer une commande de camions passée à Fiat plutôt qu'à Renault Trucks, on peut légitimement se demander si le recours au patriotisme économique, qui devrait être l'exception bien plus que la règle, n'est pas en train de basculer du mauvais côté. Si, après Gemplus (Gemalto), l'Etat redoutait de voir une autre entreprise tricolore changer de couleur de passeport, il aurait pu le faire savoir en amont.
Car brandir ainsi, au dernier moment, l'arme de la préférence nationale est à double tranchant. Le gain à court terme peut s'avérer coûteux à long terme ! Trop protéger d'un éventuel prédateur ou de la pression de la concurrence internationale un producteur domestique, c'est prendre le risque d'avoir, demain, des entreprises françaises moins efficaces, tentant de vendre plus cher des solutions moins innovantes. Surtout, au moment où nos propres entreprises ont un besoin crucial d'aller chercher la croissance sur la scène internationale, fermer de façon arbitraire notre accès à certains, c'est prendre le risque qu'on nous claque, à notre tour, la porte au nez.
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