TOUT EST DIT

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mardi 21 décembre 2010

Doit-on en finir avec les 35 heures ?

Dans un entretien à « La Croix », le ministre du travail Xavier Bertrand oppose une fin de non-recevoir à ceux qui, comme Jean-François Copé, prônent une abrogation des 35 heures

Le nouveau secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, a décidé de relancer le débat sur la réduction du temps de travail contre l’avis de l’Élysée.

Alors que le ministre du travail, Xavier Bertrand, assure qu’il n’y a pas lieu de revenir sur ce sujet – plusieurs dispositions ayant été prises pour amoindrir la portée de cette réforme – il vient de confier « une mission de réflexion » sur cette question aux deux principaux animateurs des réformateurs, le courant le plus libéral de l’UMP : Hervé Novelli (député et secrétaire général adjoint de l’UMP) et Gérard Longuet (président du groupe UMP au Sénat).

Cette initiative n’a rien d’un hasard. La première raison est d’ordre conjoncturel : comme chaque année à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, la droite accuse la gauche d’avoir durablement plombé les finances publiques avec la réduction du temps de travail.

La seconde est d’ordre structurel : une partie de la droite n’a jamais digéré les 35 heures et est bien décidée à poursuivre sa guérilla jusqu’à la neutralisation financière de la réduction du temps de travail ou son abolition, soit par un retour aux 39 heures hebdomadaires, soit par une suppression de la durée légale de travail qui serait fixée par voie conventionnelle.

Imposer ce débat avant l’élection présidentielle, comme il l’avait fait pour la burqa, permet à Jean-François Copé de se poser en champion de la droite de conviction et de viser directement celle qui avait porté cette réforme, Martine Aubry, première secrétaire du PS.

Quels sont les salariés concernés par les 35 heures ?

Dans les entreprises comme dans la fonction publique, la durée légale du travail pour les salariés est fixée à 35 heures par semaine, ou à 1607 heures par an, selon une modulation qui peut permettre l’octroi de jours de réduction du temps de travail.

En revanche, les salariés, cadres ou non, qui sont en « forfait jours » ne sont pas concernés par les 35 heures. Pas plus que les cadres dirigeants ou les VRP, non tenus à des horaires précis.

Enfin, dans quelques secteurs (employés de maison, gardiennage, commerces de détail alimentaire, transport routier de marchandises), où certaines heures sont supposées creuses, un système d’heures d’équivalence permet de faire travailler plus sans majoration salariale.

Par ailleurs, la durée légale ne se confond pas avec la durée effective du travail. D’abord, selon la Dares (1), dans les entreprises employant 10 personnes ou plus, 16,1% des salariés travaillent à temps partiel. À l’inverse, certains salariés font des heures supplémentaires.

Au total, pour un temps complet, la durée moyenne est de 36,1 heures, un chiffre stable depuis deux ans. 3,8% des salariés à temps complet travaillent entre 32 et 35 heures, 80,1% entre 35 et 36 heures, 8% entre 36 et 39 heures, et 8,1% 39 heures ou plus. C’est dans les secteurs de l’hébergement-restauration, de la construction et des « transports et entreposage » qu’on fait le plus d’heures supplémentaires.

Que reste-t-il des lois Aubry ?

Depuis la mise en place des 35 heures, des voix n’ont cessé de s’élever, à droite et dans le patronat, pour les remettre en cause. Si, à l’heure actuelle, les 35 heures demeurent la durée légale de travail, au-delà de laquelle se déclenche la majoration salariale pour heure supplémentaire, une série de lois ont créé des outils pour les contourner en tentant d’augmenter le temps de travail effectif. Avec un succès relatif, qui varie selon le contexte économique.

Ainsi, le contingent d’heures supplémentaires maximal par salarié a été relevé d’abord de 130 jours à 220 jours, sans provoquer d’engouement. Depuis 2008, l’employeur est même autorisé à négocier son propre contingent avec les syndicats. Surtout, en 2007, les heures supplémentaires ont été exonérées de charges pour les entreprises et d’impôt pour les salariés contribuables, de façon à en encourager l’usage.

Après avoir grimpé en flèche, le nombre d’heures supplémentaires a fortement régressé pendant la crise. Selon le dernier bilan officiel, chaque salarié à temps complet en aurait fait en moyenne 10,2 au deuxième trimestre 2010.

Enfin, le recours aux forfaits jours, qui permet de contourner le décompte en heures de travail, d’abord autorisé uniquement pour les cadres, a été progressivement étendu à d’autres catégories de salariés. Aujourd’hui, 9,6% des salariés sont décomptés en forfait jours.

Les 35 heures pèsent-elles toujours sur les finances publiques ?

L’État verse au total 21,18 milliards d’euros aux Urssaf en compensation des allègements de cotisations sociales patronales. Or, depuis 2003, ces allègements dits Fillon cumulent non seulement les allègements Aubry (1998) liés à la réduction du temps de travail, mais aussi les allègements Balladur (1993) et Juppé (1996) liés, eux, à la réduction du coût du travail sur les bas salaires. Les finances publiques ne comptabilisent donc pas précisément combien pèsent aujourd’hui les 35 heures sur le budget de la nation.

En 2008, le Conseil d’analyse économique (2) a cependant évalué que, sur un total de 21,5 milliards d’euros en 2007, « environ 9 milliards d’euros correspondent aux allègements généraux sur les bas salaires antérieurs à la RTT » (43%) tandis que « le reste, soit environ 12 milliards d’euros, correspond à l’accroissement des allègements liés à la mise en œuvre de la RTT et la convergence vers le haut des smic et des garanties mensuelles de rémunération qui s’en est suivie » (57%).

On peut considérer que ces 12 milliards d’euros environ correspondent toujours au coût actuel des 35 heures.

Les 35 heures ont-elles réduit la compétitivité des entreprises ?

En diminuant la durée légale du travail sans baisser les salaires, la loi sur les 35 heures a conduit à l’augmentation du coût horaire du travail. Mais les réorganisations dans les entreprises et les aides de l’État qui ont accompagné la réforme ont nuancé les conséquences sur la productivité des entreprises.

Éric Heyer, économiste à l’OFCE, souligne les moyens par lesquels celles-ci ont maintenu leurs coûts : « le gel des salaires pendant dix-huit mois », « des gains de productivité via d’importantes réorganisations et l’annualisation du temps de travail qui a permis d’enlever un grand nombre d’heures supplémentaires », sans oublier « les aides de l’État », qui représentent aujourd’hui un peu plus de 21 milliards d’euros d’allègements de cotisations sociales patronales.

« On ne peut pas dire qu’il y ait eu une perte de compétitivité », conclut-il, précisant que le constat vaut surtout « dans le privé ». Car dans le secteur public, à l’image des hôpitaux, la mise en place des lois Aubry a été un « grand fiasco », faute de préparation.

« Il est très difficile d’établir le lien entre la mise en place des 35 heures et une chute de la compétitivité des entreprises françaises », estime Denis Ferrand, directeur de l’institut COE Rexecode. Favorable à une politique de l’offre, il juge que « les 35 heures ont conduit à une désorganisation du système productif ».

Éric Heyer précise que les lois Aubry n’ont pas eu les mêmes effets selon la taille des sociétés. « Globalement, les grandes entreprises industrielles et à bas salaire y ont gagné, ce qui n’est pas le cas des plus petites, dans le tertiaire, où les salaires étaient un peu plus élevés. »

Peut-on supprimer les 35 heures ?

Les lois Fillon, en 2003, puis la défiscalisation des heures supplémentaires dans le cadre de la loi Tepa, en 2007, ont permis d’augmenter la durée du travail et de contourner les 35 heures. Depuis plusieurs années, elles ont été « complètement assouplies », résume Éric Heyer.

Pour autant, la fin des 35 heures ne semble pas pour demain, car « beaucoup de chefs d’entreprise ne le veulent pas ». Favorable à la réintroduction de « souplesse, dans les entreprises où il existe un bon dialogue social », Denis Ferrand souligne que « certaines peuvent fonctionner aux 32 heures, quand d’autres ont besoin de 40 heures ». Et il note que « la majoration sur les heures supplémentaires a paradoxalement sacralisé les 35 heures comme référentiel ».

Pour Éric Heyer, la fin des 35 heures pourrait être mise en place, mais elle ne correspond pas à une réelle volonté politique, même de la part des détracteurs des lois Aubry : « L’idée de la majorité présidentielle est d’augmenter la durée de travail. Pour y parvenir, soit vous augmentez la durée légale, soit vous incitez aux heures supplémentaires. Le gouvernement a choisi la seconde option. »

(1) Dares : Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (ministère du travail).
(2)
Les Allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2007, de Jean Boissinot, Julien Deroyon, Benoît Heitz et Véronique Rémy.

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