TOUT EST DIT

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jeudi 28 octobre 2010

Cuba en retard d'une perestroïka


Fidel Castro s'est-il mis, enfin, à l'heure de la perestroïka, suivant en cela la voie tracée il y a près d'un quart de siècle par Mikhaïl Gorbatchev ? Si, comme le suggérait il y a peu « The Economist », cela est vrai, c'est en tout cas à pas encore très lents. Début septembre, le dictateur cubain, âgé de quatre-vingt-quatre ans et qui, depuis quatre ans, a cédé la plus grande partie du pouvoir à son demi-frère Raul, a fait un retour remarqué en lançant un pavé dans la mare communiste. « Le modèle cubain ne fonctionne même plus pour nous », a-t-il confié au journaliste américain Jeffrey Goldberg. Certes, le Lider maximo est revenu ensuite sur sa petite phrase, mais sans la démentir néanmoins, et en évoquant plutôt le fait d'avoir été mal interprétée. Ce qu'il fallait comprendre, c'est que ni le dictateur ni son successeur Raul ne sont prêts à adopter le « capitalisme » comme modèle. Mais ils doivent reconnaître que le socialisme tropical n'est pas « exportable ».
En fait, avec ambiguïté, Fidel n'a fait que confirmer la tentative d'ouverture de son frère, qui, depuis 2006, tente de réformer l'économie cubaine à doses homéopathiques. Avec comme objectif vraisemblable non pas de faire une nouvelle révolution, mais de sauver ce qui peut encore l'être du régime, cinquante et un ans après le renversement de Fulgencio Batista et l'arrivée au pouvoir des « barbudos » à La Havane. Car, à l'heure de l'émergence économique de pays communistes comme la Chine ou le Vietnam, les dirigeants cubains ont de plus en plus de mal à justifier l'enfermement de leur population par le seul maintien de l'embargo des Etats-Unis. Certes, depuis 1962, ces interdictions ont soumis l'île à un dur régime, mais elles ne peuvent expliquer toutes les difficultés d'aujourd'hui. Surtout que le reste de l'Amérique latine vient de connaître ses meilleures années de croissance économique - à l'exception d'une brève dépression fin 2008-début 2009 -depuis les années 1960.
Désormais privée des subventions soviétiques, Cuba a plus que jamais besoin de devises, alors que son déficit commercial dépasse les 10 milliards de dollars par an. Selon des experts réunis par la Brookings Institution, les Cubano-Américains auraient envoyé sur l'île, à leurs familles, plus de 600 millions de dollars par an en 2008 et 2009. Ce qui reste bien loin des besoins de financement du pays, même si le régime perçoit une taxe sur ces transferts.
Face à cette situation, Raul Castro a pris une série de mesures. La dernière en date est l'ouverture de plus de 1.100 magasins vendant équipements agricoles, bottes, gants et machettes à des prix moins élevés, avec comme objectif d'augmenter la production agricole. Mais la plus importante mesure depuis le passage, en mars 1968, de presque toutes les professions à Cuba dans la « fonction publique » demeure l'annonce de la suppression de plus de 1 million d'emplois, soit environ le quart de la population active. Décision d'autant plus marquante que 500.000 suppressions doivent avoir lieu d'ici au printemps prochain. L'objectif est que les personnes licenciées retrouvent des emplois dans le « secteur privé » ou s'établissent comme travailleurs indépendants. En principe, le gouvernement compte accorder quelque 250.000 autorisations de travail en compte propre. De plus, les autorités cubaines envisagent d'accorder des crédits aux nouveaux entrepreneurs, qui seraient à l'heure actuelle déjà 140.000 (sur une population totale de 11 millions d'habitants). La Havane prévoit également de créer un nouveau système fiscal afin d'imposer progressivement les nouvelles activités. Raul Castro vient par ailleurs de renouveler toute son équipe économique, avec notamment le limogeage récent de la ministre des Industries de base, Yadira Garcia. Un ministère qui gère l'essentiel des investissements étrangers, dont ceux du Venezuela et du Brésil.
Mais on ne peut pas se faire trop d'illusion. L'heure n'est pas encore au capitalisme à la chinoise.
En publiant la liste des 178 professions ouvertes désormais à l'entreprise privée, « Granma », l'organe officiel du comité central du Parti communiste cubain, affirmait que « cette forme d'emploi doit être une alternative supplémentaire » et permettre de « rechercher des solutions qui améliorent le niveau de vie des Cubains respectant toujours les principes socialistes qui régissent la Constitution ». Et toutes ces nouvelles activités se développeront sous l'oeil vigilant de l'Etat. Car il s'agit bien « non pas de détruire, mais de défendre, maintenir et améliorer le socialisme », insiste « Granma ».
Quant à la différence entre Fidel et son « jeune » frère de soixante-dix-neuf ans et compagnon de la révolution, elle est minime. Dans son dernier ouvrage, Jacobo Machover (1), professeur à Avignon et à Paris, affirme ainsi que « la succession dynastique était inscrite depuis l'entrée de la guérilla castriste à La Havane, en janvier 1959 ». C'est dans ce contexte que l'Union européenne a décidé, lundi, d'assouplir - sans l'abandonner -sa position officielle, conditionnant la reprise de relations normales avec l'île à une démocratisation du régime. Mais cet assouplissement, décidé après la libération d'une cinquantaine de dissidents, se heurte encore aux réticences des pays d'Europe de l'Est, anciens satellites de l'Union soviétique.
S'il y a un parallèle à faire avec Gorbatchev et ses réformes, c'est qu'elles ont précédé de quelques années l'implosion du système soviétique. La question est de savoir si le « socialisme tropical » peut encore tenir longtemps. D'autant que l'Amérique latine, le continent des dictatures dans les années 1970, s'est mise à l'heure de la démocratisation. Le Brésil vient encore de le confirmer. Cuba reste bien en retard d'une perestroïka.
(1) « Cuba, l'aveuglement coupable », de Jacobo Machover, Editions Armand Colin, 336 pages, 19,50 euros.Jacques Hubert-Rodier est éditorialiste aux « Echos ».

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