Le fait est suffisamment rare pour être remarqué. Le report d'une semaine de la rencontre Sarkozy-Merkel, initialement prévue lundi soir à Berlin, en dit long sur le climat qui règne entre les deux capitales. Certes, ce n'est pas un drame et le dialogue n'en sera que plus utile à trois jours du sommet européen du 17 juin. Mais personne n'est dupe. Le moteur franco-allemand n'a jamais été aussi grippé que depuis l'éclatement de la crise grecque.
Le plus préoccupant, c'est que, cette fois, les questions de personne ou de tempérament comptent relativement peu. Si la relation entre Paris et Berlin est si problématique, ce n'est plus pour des raisons d'incompatibilité supposées entre la lenteur réfléchie de la chancelière et l'agitation médiatisée du Président. Le malaise est moins personnalisable et donc plus profond.
Il est d'abord économique. La rigueur qui gagne l'Europe contraint les gouvernements à l'exercice qu'ils redoutent par-dessus tout : annoncer le prix de la crise à leur opinion publique. Après la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Italie, l'Allemagne vient de dévoiler un plan de 80 milliards sur quatre ans. La Grande-Bretagne annoncera le sien le 22 juin et on sait, depuis lundi, avec David Cameron, qu'« aucun Britannique » n'y échappera. Et la France ? Le mot « rigueur » a été, jusqu'ici, soigneusement évité. Dans un tel contexte européen, l'art de l'ellipse pourrait rapidement toucher à sa fin. Le débat d'orientation budgétaire, le 29 juin, en offre une occasion toute trouvée.
L'équation entre le calendrier électoral, le débat social et l'ampleur des sacrifices reste une donnée éminemment nationale. Il n'est donc pas surprenant de voir chaque pays arbitrer la nature de la potion amère à administrer. L'urgence pour Angela Merkel, lundi soir, n'était pas de rencontrer Sarkozy, mais de boucler son budget. Ce qui déroute davantage, ce sont les contradictions de leur action au niveau européen. On parle concertation à Bruxelles ou à Luxembourg et on ne la pratique pas. On déclare vouloir stabiliser l'union monétaire et on agit seul.
À cet égard, l'Allemagne a, depuis six mois, posé plusieurs actes qui trahissent une préférence nationale inhabituelle jusqu'ici. Le refus de soutenir Athènes dans un premier temps. L'annonce de mesures financières unilatérales. L'absence de coordination en matière budgétaire à l'heure des coupes sombres.
On peut, bien sûr, difficilement reprocher à la première économie de l'Union son dynamisme et la rigueur de ses comptes. Le fait est, en outre, culturel. En Allemagne, la peur de l'inflation et de la dette reste beaucoup plus grande que la crainte de la rigueur. Cela soude un pays au moment de l'effort. Politiquement, cependant, le cavalier seul ne manque pas d'inquiéter.
Côté français, on souligne, à juste titre, que l'excès de rigueur peut nuire à la croissance, dont le manque chronique est le vrai mal de l'Europe. La thèse serait mieux défendable si la France était plus vertueuse. Elle serait surtout plus audible à Berlin si on ne prétendait pas changer jusqu'au modèle économique allemand lui-même. Pour relancer le moteur franco-allemand, unanimement reconnu comme vital pour stabiliser l'euro, il va falloir contrer cette dangereuse dérive des plaques. Et on voit mal comment Paris pourra continuer à éviter le mot qui court l'Europe et ne fait pas peur aux Allemands : la rigueur.
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