TOUT EST DIT

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mercredi 4 novembre 2009

Communisme : les plaies derrière le mur

Des hommes et des femmes transportés d'émotion, qui rient et qui pleurent ; des coups de pelle et de marteau, des mains qui en arrachent les fragments. La chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, figure parmi les plus grandes dates de l'histoire européenne. Deux ans avant la disparition de l'URSS, un premier coup fatal était donné à l'empire communiste. Vingt ans, ce n'est rien. Une courte phase de transition, après une nuit d'un demi-siècle, pour les pays européens pris dans l'étau soviétique.
Il a fallu tout revoir : instaurer le pluralisme politique ; garantir la liberté d'expression et l'émergence de médias indépendants ; assurer l'avènement de la propriété privée et de l'économie de marché.

Estonie, République tchèque, Roumanie, Pologne : aujourd'hui, dans chacun de ces pays, de jeunes gens votent sans avoir connu la vie sous l'ancien régime, faite de mensonges, d'angoisses et de répression. Il faut bien mesurer cette révolution et le fossé qu'il suppose, avec les générations antérieures. Les rêves, les normes morales, les références culturelles n'ont plus rien à voir.

DES TRAUMATISMES ENCORE À VIF

Un nœud commun réunit tous ces pays. Pendant vingt ans, ils ont dû affronter une question épineuse, à la fois judiciaire, historiographique et politique : comment affronter le passé ? Comment traiter les crimes commis par le régime communiste ? Faut-il épurer les administrations, poursuivre devant les tribunaux les anciens dirigeants ? Aucun pays n'a répondu à ces interrogations de façon tout à fait satisfaisante, car il ne pouvait en être autrement.

Les traumatismes sont encore à vif, les archives explosives, les rancœurs tenaces, les exploitations politiques incessantes. Vingt ans après la chute du mur, Le Monde a décidé de se pencher sur le sort de certains pays ayant appartenu à l'empire rouge ; de mesurer à quel point les mémoires du communisme demeurent à vif.

En République tchèque par exemple, la génération des signataires de la Charte 77, qui avait joué un rôle pionnier dans la lutte contre le régime, n'a pas réellement trouvé sa place dans la modernité. Seul le dramaturge Vaclav Havel, devenu président, a su s'imposer, par son charisme, au sommet de la vie politique.

En Pologne, le général Jaruzelski, l'homme de l'état de guerre en décembre 1981, est aujourd'hui jugé comme un vulgaire criminel. C'est pourtant lui qui avait facilité la transition pacifique, au printemps 1989, en tendant la main à l'opposition, dirigée par Lech Walesa ; en acceptant le principe d'une table ronde, puis d'élections libres. L'histoire est souvent cruelle. Parfois, elle tarde à se dévoiler.

En Roumanie, les archives de la Securitate, lourds de secrets et de crimes, ont mis un temps fou à s'ouvrir. Longtemps, Bucarest a préféré se tourner vers l'avenir plutôt que de regarder le profil hideux de l'ancien régime. Aujourd'hui, les particuliers peuvent découvrir la minutie avec laquelle ils ont été surveillés, dénoncés, traqués.

En Estonie, la communauté nationale et sa composante d'origine russe vivent côte-à-côte, pacifiquement, mais sans partager la même histoire, les mêmes traumatismes.

Malgré ces difficultés, ces quatre pays ont réussi à tourner définitivement la page communiste, à changer de peau et se réinventer. Un de leurs moteurs a été l'intégration européenne. En leur fixant des conditions strictes avant l'adhésion, l'UE a dessiné un horizon contraignant et imposé une discipline salutaire aux gouvernements de toutes tendances.

Reste le cas de la Russie. Un voyage à Perm-36, dernier camp de travail à avoir fermé en Union soviétique, fin 1987, donne une idée du chemin qui reste à parcourir ("Le goulag oublié", Le Monde du 24 octobre). Depuis dix ans, la Russie a des pulsions nationalistes fortes. Mues par un esprit de revanche, après les humiliations des années 1990, ses élites refusent d'analyser le passé, de faire la pédagogie des crimes, sans même parler de poursuites judiciaires. La Russie vit dans le déni.

Mais un jour viendra, sans doute, où les corps remonteront à la surface pour réclamer des comptes aux nouvelles générations, éberluées.
Piotr Smolar

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