Au chevet de l'euro, l'armée européenne est encore dispersée. Régulièrement réunis à Bruxelles depuis un an, les chefs d'Etat et les ministres des Finances mènent un long bras de fer contre les marchés financiers. Depuis la crise grecque du printemps 2010, pas un sommet européen n'a été consacré à un autre sujet. Lors de sa nomination, en janvier 2010, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, avait imaginé faire des sommets thématiques pour resserrer peu à peu les liens des chefs d'Etat sur les différents volets de la politique commune. La crise de la dette, qui frappe l'eurozone depuis un an, a balayé cet agenda. Initialement consacré à l'énergie et l'innovation, le dernier sommet du 4 février a finalement été dominé par une longue conversation sur le « pacte de compétitivité » que souhaitent mettre en place l'Allemagne et la France. Comme le résume Herman Van Rompuy, « une monnaie commune signifie qu'il faut faire plus ensemble » et c'est de ce « plus » dont il est à présent question. Si les gouvernements parviennent à le définir d'ici à la fin mars, comme ils le promettent, alors auront-ils une chance de tourner la page de la bataille pour l'euro ?
Les semaines à venir sont décisives. Première tâche pour Herman Van Rompuy : convaincre les Etats qui pensent que ce qui a déjà été décidé est suffisant. Dans la foulée de la tempête grecque, au printemps dernier, les Européens ont jeté un canot de sauvetage à la mer avec la création du fonds de stabilité financière et réfléchi à la manière de renforcer la discipline entre eux afin d'éviter de nouvelles surprises « à la grecque ». En octobre, la « task force » menée par Herman Van Rompuy a abouti ainsi aux propositions législatives de la Commission européenne pour rendre plus efficace la surveillance des économies et des finances des pays de la zone euro. Au-delà du déficit budgétaire, l'accent doit être mis sur l'endettement et de nouveaux indicateurs macroéconomiques. Pour beaucoup de pays membres, l'histoire aurait dû se terminer là.
Sauf qu'à peine cet accord obtenu, la crise irlandaise est arrivée, relançant la méfiance des investisseurs sur la capacité de remboursement des Etats les plus fragiles. En novembre, les pays de la zone euro lancent un plan de sauvetage de 85 milliards d'euros, qui permet de vérifier que le fonds de secours fonctionne bien, mais qui, paradoxalement, en révèle aussi les fragilités. Pour obtenir les meilleurs taux avec une note AAA, la capacité financière du fonds s'avère plus faible que promise d'environ 250 milliards au lieu de 440 milliards. En outre, l'usage du fonds, en dernier ressort, revient cher au pays aidé -l'Irlande emprunte à plus de 6 % -, alors qu'une action préventive aurait peut-être été aussi efficace et moins coûteuse.
De la crise irlandaise au dernier conseil de février, la conclusion s'impose donc peu à peu : le fonds doit être renforcé et sa mission élargie. Autrement dit, la solidarité pour défendre l'euro coûtera davantage que prévu. Une prise de conscience difficile, qui explique les déclarations encore contradictoires des ministres des Finances réunis les 14 et 15 février à Bruxelles.
D'un fonds anti-crise provisoire, défini pour trois ans, il faut passer à un dispositif non seulement permanent mais aussi plus ambitieux. A l'heure de l'austérité, l'enjeu est de taille, puisqu'il s'agit pour les 17 Etats membres de la zone euro de graver dans le marbre un outil de solidarité de quelque 500 milliards d'euros, soit l'équivalent de 3,5 années de budget européen payé par 27 Etats membres. On comprend dès lors pourquoi l'Allemagne mais aussi la France, les deux principales économies de la zone, réclament pour leur soutien un nouveau prix : le « pacte de compétitivité ». « More money, more governance », résume un acteur du jeu.
C'est au président du Conseil, Herman Van Rompuy, qu'il revient à présent de trouver un consensus au sein des Etats membres sur ce nouvel effort de gouvernance. Face à l'échiquier des 27 Etats membres, aucune fausse manoeuvre ne lui sera permise. Il lui faut contourner quatre écueils : ménager les sensibilités de droite et de gauche, rassurer les petits pays face au « diktat franco-allemand », ainsi que les pays non membres de la zone euro qui s'inquiètent de ce que les 17 de l'eurozone recréent une Europe à deux vitesses, et enfin calmer les inquiétudes de la Commission européenne et du Parlement européen, toujours prompts à dénoncer des accords inter-gouvernementaux, autrement dit des arrangements entre Etats, non soumis au corpus législatif européen.
Car ce que réclament Berlin et Paris à travers leur « pacte de compétitivité » bouleverse la méthode communautaire, qui coordonne les politiques en fixant des objectifs à respecter, sans pour autant dicter aux Etats la manière d'y parvenir. Cette fois, les deux grands pays de la zone euro demandent non plus seulement de définir des objectifs communs, avec des trajectoires bien établies pour la réduction des déficits budgétaires et de l'endettement public accompagnées de punitions pour les mauvais élèves, mais aussi des mesures structurelles. D'où les protestations de gouvernements soucieux de leur souveraineté nationale. En outre, les deux Etats réclament des gages dans des domaines qui ne relèvent pas du champ de compétences direct de la Commission européenne : politique salariale, fiscale, régimes de retraite, législation nationale sur un endettement maximal... Le but ? S'attaquer à la racine de ce qui a creusé les écarts de compétitivité entre les différents pays membres de l'euro au cours des dix dernières années : l'indexation des salaires, le poids croissant des régimes de retraite, des fiscalités divergentes. La bataille de l'euro entre dans une phase décisive : y aura-t-il ou non la volonté politique de s'aligner sur le meilleur élève actuel de la croissance, l'Allemagne ? Sous l'oeil attentif et menaçant des marchés financiers, le choix est contraint.
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