jeudi 24 février 2011
Pays arabes : la lecture économique
Un peu plus de deux mois après le début des mouvements populaires dans les pays arabes, il est de plus en plus délicat de faire une lecture économique de ce qui passe. Et cela montre que l’économie peut fournir des clés des événements, mais que la serrure et le moment où elles vont être utilisées sont d’abord politiques.
Quand le pouvoir tunisien est tombé, on y a vu la révolte de classes moyennes au niveau éducatif élevé et branchées sur le monde grâce à Internet. Quand le régime égyptien a disparu, c’est la pauvreté et les prix alimentaires qui ont été évoqués.
Maintenant, la Libye ou les protestations à Bahreïn changent évidemment l’analyse. Car ce sont des pays dotés d’énormes richesses naturelles, où les PIB par tête sont élevés. Et dans le cas de la Libye, impossible de connaître le rôle des technologies de l’information mis en avant partout : aucune statistique n’est disponible. Emmanuel Todd avait livré deux clés pour les révolutions à venir : une montée du niveau d’éducation et une baisse de la fécondité des femmes. Comptent tout autant la corruption, une jeunesse qui n’en peut plus d’attendre et la perte de légitimité de pouvoirs usés jusqu’à la corde.
Ces mouvements sont-ils quand même le produit de la mondialisation ? Une mondialisation souvent décriée pour ses conséquences économiques et qui aurait là une sorte de rédemption ? Peut-être, d’une certaine façon.
La mondialisation est synonyme, en positif, d’accélération, de croissance, et, en négatif, de crises plus rapprochées et violentes. Mais elle est aussi synonyme de basculement des rapports de force, et de transparence, de comparaisons. Les inégalités entre les pays ne peuvent plus être cachées. C’est la différence entre savoir et savoir que tout le monde sait. Auparavant, chaque Egyptien, Tunisien et Libyen connaissait les dysfonctionnements de son pays, mais il ne savait pas que, chez lui et sur toute la planète, tout le monde les connaissait : il était du coup risqué pour lui de réagir. Avec les informations d’aujourd’hui (satellites, portables, Internet), tout monde sait que tout le monde sait. Le roi, le dictateur, le régime, ses travers et ses insuffisances sont nus. C’est ce qu’on appelle le "common knowledge" (en bon français).
On peut dire aussi que le développement de l’économie, de l’envie de sortir de la pauvreté, introduit un nouvel acteur dans la relation entre d’un côté, le pouvoir, et, de l’autre, le Parti ou l’armée, si présents dans beaucoup de pays. L’étincelle est politique, mais l’économie est bien présente ! Au total, la mondialisation crée un environnement positif pour les libertés, mais ne les garantit pas non plus – comme en Chine, par exemple.
A l’inverse, les changements de régime ne garantissent pas non plus une amélioration spectaculaire de l’économie. C’est l’intégration des pays de l’Est en Europe, leur ouverture et l’afflux d’investissements qui les ont fait décoller. Les pays du Maghreb et du Moyen-Orient sont des pays qui vivent de "rentes", gazière, pétrolière, touristique. Et la rente n’est jamais propice au décollage. Il faut changer tout le modèle économique. Mais on n’en est pas encore là !
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