jeudi 24 février 2011
Le court-termisme n'est pas l'ennemi
On s'étonne et on est surpris, voire scandalisé, du « court-termisme » des investisseurs à l'aune de la durée moyenne pendant laquelle ils détiennent les mêmes titres. Sur tous les marchés financiers développés, celle-ci s'est réduite en vingt ans de plus d'une année à quelques mois. Faut-il s'en alarmer ?Non, car cette évolution n'est que la conséquence de l'irruption des technologies sophistiquées dans les systèmes de négociation des actions.
Pendant cette période, on est passé d'un marché de titres avec localisation géographique précise et concentration de moyens humains importants pour assurer la cotation, qui faisait ressembler le marché à un monopole naturel sur une zone géographique donnée, à un fonctionnement en réseau à distance. Les évolutions technologiques ont entraîné une diminution des coûts opérationnels des systèmes de transaction avec des conséquences tant au niveau des investisseurs que des opérateurs. Pour les investisseurs, une diminution considérable des frais de transaction (passés en vingt ans de plus de 2 % à 0,1 %, soit une baisse de plus de 90 %) entraînant l'apparition de nouveaux modes de gestion ; pour les opérateurs, une hausse toute aussi considérable des volumes de transactions, multipliés par près de 500 en trente ans, améliorant ainsi la liquidité des marchés.
Ces deux phénomènes de diminution des frais de transaction, d'une part, et d'augmentation des capitaux échangés, qui ne sont pas indépendants, ont eu au moins deux conséquences sur les métiers financiers du secteur boursier des actions : d'un point de vue d'organisation industrielle du secteur des échanges d'actions, une forte diminution des barrières à l'entrée et, par voie de conséquence, l'apparition de nouveaux acteurs (les plates-formes de transaction telles que Chi-X, BATS, créées à l'initiative des banques, et celles-ci développant par ailleurs les « crossing networks », voire les « dark pools » par opposition aux « clearpools » des marchés organisés « traditionnels ») avec pour conséquence une concurrence accrue, facteur supplémentaire de baisse des coûts de transaction ; d'autre part, l'apparition de nouvelles méthodes de gestion, dont on peut dater la naissance avec le « program trading » et la crise boursière du 19 octobre 1987. Le « program trading » a changé de nom, il est devenu « algorithmic trading », mais le modus operandi est pratiquement le même. Il ne s'agit rien de moins que de modèles financiers et statistiques qui, analysant et traitant des données de valorisation de sociétés, déclenchent, par un ensemble d'algorithmes informatiques préprogrammés, des instructions de passage d'ordres de Bourse avec pour objectif de profiter d'inefficiences ou de déséquilibres très passagers entre titres, voire classes d'actifs, segments de marché ou marchés géographiques différents. Par essence, ces inefficiences sont à la fois très faibles et très passagères. La nature même de ces inefficiences et la faiblesse des coûts de transaction ci-dessus évoqués ont permis l'apparition de nouveaux modes de gestion et l'émergence de nouveaux types d'investisseurs ayant pour seul objectif de tirer parti d'inefficiences passagères qu'ils croient déceler.
Ces transactions d'un nouveau type ont entraîné une augmentation des volumes de titres échangés et, en corollaire, la diminution de la durée de détention moyenne des titres. En effet, l'apparition de cette catégorie d'investisseurs dont l'horizon de placement est inférieur à la journée, et dont la part dans les capitaux échangés est de 30 % à 50 % selon les marchés géographiques d'actions, n'a pu que faire baisser, par pure arithmétique, la durée de détention moyenne des titres de l'ensemble des opérateurs. Ce phénomène est en partie à l'origine de l'accusation de court-termisme formulée à l'encontre de ceux-ci.
Dès lors, la tentation est grande de vouloir interdire ce mode de gestion, surtout depuis le « flash krach » intervenu en Bourse de New York (près de -10 % en quelques minutes) le 6 mai 2010. Mais au nom de quoi interdire aux opérateurs l'achat de 5.000 titres d'une société à 10 heures qu'ils revendraient à 10 h 15 ? La mise en place de coupe-circuits au niveau des titres individuels suffira à éviter le risque systémique qu'ils pourraient engendrer. Mais c'est sur d'autres leviers qu'il faudrait agir pour favoriser l'investissement à long terme, notamment par une fiscalité moins contradictoire entre produits financiers et des règles prudentielles plus adaptées à l'investissement en actions pour les banques (Bâle III) et pour les compagnies d'assurances et mutuelles (Solvency II).
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