TOUT EST DIT

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dimanche 27 février 2011

Comment faire tomber Kadhafi?

Les occidentaux peuvent pour une fois faire coïncider leurs intérêts et leurs idéaux.
Il est évident que le Président Barack Obama doit faire quelque chose pour aider les citoyens libyens à se débarrasser du régime répugnant de Mouammar Kadhafi. La vraie question, c’est que faire. Plus précisément, quelles actions pourraient accélérer la chute du dictateur, lesquelles faut-il éviter et surtout, lesquelles peuvent être menées assez longtemps pour avoir un effet? Après tout, Kadhafi s’accroche au pouvoir depuis 42 ans et rien ne prouve qu’il tombera en quelques jours.
Au moment où j’écris ces lignes, le Conseil de sécurité de l’ONU va se réunir. Il va sans doute condamner fermement la sauvagerie de Kadhafi, tout comme l’a fait la Ligue arabe en chassant la Libye de ses rangs, ou Hillary Clinton lorsqu’elle a appelé le dictateur à «faire cesser ce bain de sang révoltant.» Tout cela est très bien, et nécessaire, mais au point où en sont arrivées les choses, Kadhafi doit se moquer éperdument d’être mis au ban des nations. L’interminable discours qu’il a prononcé à la télévision d’Etat devrait suffire à le prouver. Echevelé, l’œil vaguement hagard, Kadhafi a affirmé que les manifestants étaient sous l’emprise de stupéfiants administrés par les impérialistes américains et qu’il allait tous les faire tuer si les troubles continuaient.
Le sénateur démocrate du Massachusetts John Kerry, qui semble avoir des visées sur le poste de Secrétaire d’Etat, a proposé quelques actions concrètes. Les compagnies pétrolières étrangères devraient interrompre leurs activités jusqu’à ce que les violences cessent. Les sanctions américaines abandonnées par George W. Bush lorsque Kadhafi a démantelé son programme nucléaire devraient être à nouveau appliquées. Les officiers de l’armée Libyenne doivent être clairement avertis que s’ils continuent à tirer sur la population, ils seront poursuivis pour crime de guerre lorsque le régime sera tombé. Dans le même temps, les Nations Unies devraient exclure la Libye du Conseil des droits de l’Homme, ne serait-ce que pour mettre fin à une mascarade du plus mauvais goût.
Ce sont de très bonnes idées, que les autorités et les dirigeants de sociétés pourraient, et devraient, appliquer très rapidement. Mais n’est-il pas nécessaire de passer à des mesures plus contraignantes? Certains analystes recommandent d’imposer une interdiction de vol au-dessus du territoire libyen, afin d’empêcher les attaques aériennes contre les manifestants signalées par plusieurs témoins.
Il serait possible de faire respecter une telle interdiction par des avions de combat américains et/ou de l’OTAN. Cela a déjà été fait. En 1991, à la fin de la guerre du Golfe, les pays vainqueurs ont imposé une interdiction de survol de l’Irak qui a été maintenue pendant 12 ans, jusqu’à la chute de Saddam Hussein, et ce malgré de nombreuses tentatives irakiennes pour abattre les chasseurs de la coalition.
Mais avant d’envoyer des avions dans l’espace aérien libyen, les Etats concernés doivent d’abord savoir jusqu’où ils sont prêts à aller. Vont-ils bombarder les aéroports? Si Kadhafi n’utilise plus les avions mais envoie des tanks contre la foule, faut-il attaquer les tanks? Et si cela ne suffit pas, faut-il envoyer des troupes? (Ce qui serait probablement une grave erreur).
Ces interrogations expliquent peut-être pourquoi l’ambassadeur égyptien aux Nations unies a déclaré ce matin aux journalistes que le Conseil de sécurité n’allait probablement pas débattre d’une interdiction de survol. Dans ce cas, le président Obama doit-il, peut-être en collaboration avec l’OTAN, imposer cette interdiction de manière unilatérale?
Dans son discours télévisé, Kadhafi a affirmé que les soulèvements qui agitent le pays sont une nouvelle étape du complot impérialiste qui a commencé avec les bombardements ordonnés par Ronald Reagan dans les années 1980. Je doute que beaucoup de spectateurs l’aient cru, mais qui sait? On peut trouver cette questions sans importance, mais il faut alors se rappeler que Desert Storm, l’opération militaire qui a chassé les troupes irakiennes du Koweït en 1991 (et imposé l’interdiction de survol), dut une large part de son succès au fait qu’elle s’appuyait sur une véritable coalition regroupant tous les pays arabes et musulmans de la région. Et pas seulement de manière symbolique. L’Egypte, la Syrie, l’Arabie Saoudite et même la Libye envoyèrent des divisions blindées et des avions. Cela eut peu d’incidence sur le plan militaire, mais cela eut une importance vitale sur le plan politique, car personne ne put présenter la guerre comme une agression occidentale visant à s’approprier le pétrole koweitien.
Quoi que décident les États-Unis ou d’autres pays, il apparaît primordial de prendre les mêmes précautions aujourd’hui.
D’une certaine manière, cela ne semble pas très difficile. Kadhafi, qui aimait à se présenter comme un leader audacieux prêt à guider le monde arabe vers une plus grande indépendance, vient d’être expulsé de la Ligue arabe. Et les seuls chefs d’Etat qui semblent encore le soutenir sont à des milliers de kilomètres et sont avant tout motivés par l’anti-américanisme: Fidel Castro à Cuba, Daniel Ortega au Nicaragua et Hugo Chavez au Venezuela.
Cependant, si on y regarde de plus près, il n’est pas certain que les leaders arabes souhaitent vraiment s’engager sur cette voie. En effet, ils se retrouvent face à une inconnue. S’ils aident les Libyens à renverser Kadhafi, cela va-t-il redorer leur image et convaincre leurs concitoyens, et le reste du monde, qu’ils sont eux-mêmes favorables à la démocratie? Ou cela va-t-il encourager leur population a réclamer elle aussi davantage de droits, voire des changements de régime?
Par ailleurs, même si Obama décidait d’agir de manière unilatérale, ces choix resteraient limités. Contrairement à ce qu’affirme Kadhafi dans ses divagations sur les complots américains, les États-Unis ne disposent pratiquement d’aucun moyen de pression sur la Libye. Notre personnel diplomatique est réduit au minimum, nous n’avons aucun contact avec l’armée et notre aide économique se limite à quelques millions de dollars par an, principalement destinés au programme de désarmement.
Mais les choses peuvent changer. Je ne sais pas (et je pense que personne ne le sait) si les États-Unis, ou toute autres nation occidentale, a établi des contacts avec des officiers ou des diplomates libyens ayant fait défection. Si c’est le cas, ces contacts devraient rester secrets afin de se prémunir de l’accusation de complot proférée par Kadhafi.
Si des pays étrangers doivent participer à l’éviction du dictateur, l’Angleterre et la Russie semblent nettement mieux placées, du fait des nombreuses relations commerciales qu’elles entretiennent avec ce pays. Ainsi, rien qu’au troisième trimestre 2010, l’Angleterre a vendu à la Libye pour 6 millions de dollars de munitions, dont des projectiles anti-émeute, initiative pour le moins malheureuse que le Premier ministre David Cameron (qui vient d’effectuer un déplacement en Egypte pour nouer des liens avec le nouveau gouvernement) a peut-être envie de corriger. En 2007, BP a signé un contrat de 900 millions de dollars avec la Libye pour creuser 17 puits d’exploration répartis sur une surface 10 fois plus vaste que celle actuellement prospectée par BP dans le Golfe du Mexique.
Il y a un an, la Russie a conclu des ventes d’armes avec la Libye pour un montant de 1,8 milliard de dollars, qui sont venues s’ajouter à des contrats de plusieurs milliards, passés en 2008 pour la construction d’une ligne de chemin de fer et de l’expertise en matière de production énergétique. BP et le gouvernement russe ont annoncé lundi qu’ils allaient évacuer tous leurs employés, une décision sur laquelle eux-mêmes, et sûrement les parties intéressées en Libye, aimeraient revenir.
En résumé, de très nombreuses instances, publiques et privées, ont intérêt à voir Kadhafi disparaître rapidement. Il est tout à fait possible que leur souhait se réalise, si on en juge par les nouvelles selon lesquelles les rebelles se sont emparés de l’est du pays, où ils ont même hissé l’ancien drapeau libyen, et ont convaincu les militaires de se joindre à eux.
Dans une interview donnée à Al Jazeera, l’amiral Mike Mullen, le chef d’état-major des armées américaines, a été clair sur un point. «Les évènements qui se sont produits en Tunisie, en Egypte, au Bahreïn, et maintenant en Libye, ont été déclenchés par les citoyens de ces pays.» Les États-Unis souhaitent apporter leur aide aux «partisans du changement», mais «c’est aux populations de prendre les décisions qui concernent leur avenir
On peut espérer que nous sommes déjà en train de réfléchir à l’aide que nous pouvons apporter aux «partisans du changement», comme le dit Mullen avec une certaine circonspection, et que nous collaborons avec les pays qui sont sur la même longueur d’onde, dans la région et au-delà.
On peut également espérer qu’après la chute de Kadhafi, le Congrès parviendra à surmonter ses réticences habituelles face à l’aide aux pays étrangers et que nous pourrons apporter des sommes conséquentes à la reconstruction de ces pays. Certes, il faut dépenser beaucoup d’argent pour soutenir les institutions civiles sans lesquelles les soulèvements populaires dégénèrent en anarchie et provoquent l’avènement de nouvelles dictatures. Mais de tels progrès sont bien plus précieux pour la sécurité nationale que tous les milliards engloutis dans les porte-avions ou les sous-marins nucléaires.
Au crépuscule du règne de Kadhafi, la Libye présente ce trop rare cas de figure où les intérêts des États-Unis coïncident avec les idéaux qu’ils professent. Il serait dommage de laisser passer une telle occasion.

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