dimanche 27 février 2011
Chagrin diplomatique
C'est merveille de voir combien nos pronostiqueurs du fait accompli, méditant les révoltes arabes, nous expliquent ce que devrait être notre politique étrangère. Ils la voudraient illuminée par la torche de la liberté éclairant le monde et toute vouée à la chute des despotes. Cette bouffée d'exaltation respire plus l'effusion que la raison. Non que la France renonce à répandre le message de la liberté. Hérité de nos aïeux, il ne nous coûte guère. Et, s'il est vrai que l'Occident n'ose plus affirmer la prééminence de sa civilisation, il peut et doit encore affirmer le droit universel des hommes à la liberté, le soutenir de son mieux. Cela dit, toute politique étrangère obéit à ce principe que chaque Etat établit ses relations avec des Etats. Et non avec leurs régimes. Sous nos yeux, les régimes chinois pour le Tibet, russe pour la Tchétchénie ont beau indisposer nos principes, les deux Etats savent borner nos ingérences.
Il fut un temps où la France coloniale prétendait conduire les peuples asservis à l'émancipation par leur accès à la "civilisation" (entendez la nôtre). En fait, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes - autre idéal de notre cru - aura débordé et rompu la promesse d'une liberté à la Saint-Glinglin. Les Etats-Unis ont encore rêvé, sous Bush, de diffuser, avec l'éviction du tyran irakien Saddam Hussein, le ferment libertaire dans le Moyen-Orient. On connaît la suite. Or les peuples arabes, anciens colonisés, ont le cuir sensible. Notre tout nouvel ambassadeur à Tunis vient de le vérifier.
Le fait est que notre politique arabe a longtemps déployé le plus plat réalisme pour la défense d'intérêts, d'ailleurs fort légitimes, liés tout à la fois à notre ancienne présence coloniale, aux vestiges d'influence chrétienne et francophone au Proche-Orient et à son pactole fossile. Le plus cher allié de la France y fut l'Irak, laïque et pétrolier, de Saddam Hussein : le chef jadis de nos services spéciaux l'entretenait de soins téléphoniques réguliers. La France de Giscard accueillait sur notre sol, à la demande expresse du chah, un Khomeyni bientôt fondateur de la théocratie iranienne. La France emprunteuse de Mitterrand pelotait, en 1983, la fortune, précieuse à nos caisses vides, des Emirats et de l'Arabie saoudite. L'assassinat de notre ambassadeur au Liban, nos 53 soldats victimes de l'attentat du "Drakkar" ont ensanglanté, sans l'interrompre, notre pérégrination dans un Orient compliqué et terroriste.
Par crainte, à nos portes, d'un pouvoir religieux, nous avons soutenu, contre la victoire électorale des islamistes, un pouvoir militaire algérien corrompu et ingrat. Et plus encore un Ben Ali tunisien qui, dans l'opprobre des tyrannies, n'égalait, il est vrai, ni Saddam Hussein ni, dans le monde, une cinquantaine de potentats massacreurs ou génocidaires. Ajoutez qu'en une décennie plusieurs millions de touristes français ont sacrifié, sur ces terres despotiques, à la realpolitik... du soleil bon marché.
Il est donc loisible, je l'ai fait ici en son temps, de regretter tel cynisme trop affiché avec un Saddam Hussein ou un Kadhafi. Loisible de déplorer telle complaisance de nos caciques à des invitations vacancières. Loisible surtout de souhaiter une politique étrangère moins impulsive, plus laconique, plus cohérente entre l'Elysée et le Quai d'Orsay. Mais il est absurde de demander à nos ministres ou ambassadeurs de prêcher la révolte des peuples quand l'Etat en ménage, bon gré mal gré, les despotes. De Gaulle, avec Jacques Foccart, s'arrangeait des coups d'Etat d'Afrique. Chirac flattait son ami Saddam Hussein. Mitterrand caressait un Kadhafi terroriste avant que, déplumé par l'Amérique, il ne vienne, sous Sarkozy, planter sa tente bédouine face à l'Elysée. La diplomatie a ses fatals chagrins. Elle n'est que la nécessaire politesse des Etats : leur maigre offrande du vice à la vertu...
Il est non moins absurde de reprocher à ses serviteurs de n'avoir pas annoncé le printemps arabe. Qu'eût-on fait de leurs pronostics ? Ils ont souvent, et plus qu'on ne croit, prévu l'inéluctable sans pouvoir en prédire le jour. Tel fut d'ailleurs le cas de la Révolution iranienne. De l'effondrement de l'Union soviétique. Et, proche de nous, de la crise financière claironnée par maints Cassandre mais nullement pronostiquée dans son déclenchement.
Aujourd'hui, dirait Marx, les peuples arabes "font l'Histoire mais ils ne savent pas encore quelle Histoire ils font". Nous non plus !
Sur la planète, l'émergence de nouveaux mastodontes nous mène la vie dure alors que notre sort dépend plus que jamais de l'"étranger". Notre politique étrangère affiche sans surprise la puissance réduite comme peau de chagrin de notre Nation dans le monde nouveau. Ajoutez que, depuis trente ans, on aura, chez nous, emmailloté les Français mais déshabillé la France. C'est elle qu'il faut rhabiller si l'on veut exhiber plus de fierté. Et moins de dépendances.
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