TOUT EST DIT

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lundi 3 janvier 2011

Une Renaissance multiculturelle

Oublions le conformisme, la corruption et la fascination des élites ! Place à la jeunesse mélangée, mobile et solidaire. Tel est le vœu de l’économiste italienne Loretta Napoleoni dans une lettre à son fils. 


Cher Julian,

L’année prochaine, tu auras 18 ans et tu finiras le lycée, sans doute avec un mélange d’excitation et de crainte. L’avenir, pour le jeune Européen moyen, doit être à la fois une promesse d’épreuves et d’aventures. Le chômage, les montagnes de dettes, les prophéties d’effondrement monétaire et les minces chances de carrière professionnelle non précaire viennent assombrir le paysage.

Il y a trente-cinq ans, une autre génération d’étudiants – tes parents – quittait l’école et contemplait l’avenir avec un même mélange d’impatience et d’inquiétude. Ayant grandi sous la menace de l’apocalypse nucléaire et du terrorisme, cette génération a dû apprendre à vivre avec une inflation à deux chiffres et les débuts du chômage de masse. C’est pourtant cette même génération qui a lancé la révolution sexuelle, embrassé le communisme et l’anticonformisme.

Dans les années 1970, ces jeunes sont eux aussi descendus dans la rue pour crier leur opposition au gouvernement et à des réformes scolaires jugées élitistes et arriérées. Ils réclamaient un accès libre à l’université sur un continent aussi proche de l’effondrement politique qu’aujourd’hui. Puis le rideau de fer a disparu, l’Allemagne a réalisé son vieux rêve de réunification, et l’Europe est même parvenue à surmonter la crise de l’énergie.

Au milieu des années 1980, les économies européennes ont retrouvé le chemin de la croissance et profité de ce qui ressemblait à une longue période de stabilité. Il s’avère que tout cela n’était qu’une vaste illusion.

Presque tous les décideurs – politiciens et banquiers – ont profité de ce semblant de reprise économique et de la déréglementation pour délocaliser les emplois et démanteler ce qui restait de l’Etat-providence. En l’espace d’une génération, les inégalités de revenus nous ont ramenés des décennies en arrière, à l’équivalent de la période d’entre-deux-guerres, préparant le terrain pour une nouvelle Grande Dépression, cette fois-ci directement en Europe.

Que s’est-il donc passé ? Réponse : notre irrésistible envie de faire partie d’une élite, d’être différents, riches et puissants, et de bâtir des empires. Un “bien” qui justifie tous les moyens. Les Européens seront toujours les descendants de Machiavel, prisonniers de tournants historiques capables de faire se succéder à quelques années d’intervalle une révolution française antimonarchique et l’avènement d’un empereur. A jamais piégés dans nos propres contradictions, nous rejetons l’égalité tout en saluant la démocratie. Nous ne parvenons pas à évoluer. Et pourtant, tout espoir n’est pas perdu.

Les jeunes d’aujourd’hui sont la première génération d’Européens nés dans le grand melting-pot d’une Europe qui n’est plus uniquement peuplée par des Européens. Le multiculturalisme pourrait fort bien être notre salut. C’est peut-être lui qui nous libérera des chaînes de notre histoire et projettera le Vieux Continent dans un environnement où d’autres peuples, moins développés que nous mais moins cyniques et plus positifs, auront un grand rôle à jouer pour notre avenir.

En voyant les récentes manifestations d’étudiants devant le Parlement à Londres, j’ai vu le visage d’une nouvelle Angleterre et d’une nouvelle Europe. Jamais le Royaume-Uni n’avait connu ce type de protestation, à l’exception peut-être de celle suscitée par le projet de poll tax de Margaret Thatcher. Mais à l’époque les manifestants étaient motivés par l’argent, non par l’égalité.

Le sang neuf des enfants d’immigrés entraîne des mouvements transnationaux et crée des liens de solidarité entre jeunes Européens. Ces jeunes, aussi inquiets pour leur avenir que déterminés à ne pas laisser l’histoire se répéter, veulent construire une Europe différente. Leurs liens de solidarité se tissent au fil du web, cette agora mondiale reliant WikiLeaks à Porto Alegre et à tous les autres projets pour transformer notre planète.

Comme j’aimerais avoir ton âge et m’engager sur ce chemin avec toi pour partager cette aventure de refonte du continent. Ma génération avait les mêmes rêves, mais n’a pas réussi à les réaliser. Au fil du temps, nous nous sommes regroupés en vieilles et nouvelles élites. C’est pour cela que la corruption, l’inégalité et la criminalité sont partout aujourd’hui, et que nous sommes dirigés par une classe d’incompétents et abreuvés par une presse à scandale de ragots dont nous ne voulons rien savoir. Réussirez-vous là où nous avons échoué ?

J’en suis convaincue parce que le paradigme socioculturel de l’Europe a enfin changé et que les décideurs d’aujourd’hui ne le représentent plus. Quand les gens de ta génération arriveront au pouvoir, le paradigme politique sera lui aussi obligé d’évoluer.

Les Européens ne seront plus des explorateurs, ils ne s’aventureront plus sur des mers inconnues pour voler les trésors d’autres peuples ni n’escaladeront les plus hautes montagnes pour y planter leur drapeau, pas plus qu’ils ne regarderont vers l’Orient ou l’Occident pour savoir quoi faire et quoi penser sur la scène internationale. Ils seront capables de puiser dans l’esprit multiculturel d’un continent revigoré pour trouver de nouvelles solutions économiques, sociales et politiques. Telle est l’Europe dont je rêve pour toi et dans laquelle je veux vivre.

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