L es réformes faites à temps n'affaiblissent pas l'autorité, elles la raffermissent et réduisent à l'impuissance l'esprit révolutionnaire. » Le président Ben Ali aurait sans doute tiré profit de la formule d'un des pères de l'unité italienne, le comte Cavour. Ce conseil de sagesse politique aurait été beaucoup plus approprié pour la survie de son régime que toute leçon technique en matière sécuritaire.
Quand l'immobilisme est présenté par le pouvoir comme la seule alternative au chaos et quand les autorités opposent aux frustrations populaires silence, mépris, mensonge, corruption, violence et arbitraire, elles prennent le risque de pousser le peuple au désespoir. Un désespoir qui conduit à la révolution quand tombe le mur de la peur. Le régime a certes favorisé l'émergence d'une classe moyenne, mais il ne l'a pas politiquement traitée en adulte.
La Tunisie est-elle le premier domino qui est tombé ? La « révolution du jasmin » va-t-elle, par capillarité, gagner tous les pays du Maghreb sinon le monde arabe dans son ensemble ? Hier, la sale « guerre civile » qui a dominé l'Algérie pendant les années 1990 avait, par sa sauvagerie, constitué un argument très fort en faveur du statu quo en Tunisie et au Maroc, selon la ligne : « Et si la contestation débouchait sur un scénario à l'algérienne ? »
Lors de la transition monarchique entre Hassan II et Mohamed VI dans les années 2000, le Maroc était souvent décrit comme le maillon faible du Maghreb. N'ayant ni les ressources énergétiques de l'Algérie ni la faible, et donc a priori gérable, population de la Tunisie, il était nécessairement le plus vulnérable des trois, sans mentionner la Mauritanie, un peu oubliée, à tort. Aujourd'hui, cette perception des équilibres régionaux s'est totalement renversée. C'est bien au contraire le royaume chérifien qui apparaîtrait presque comme le plus stable des pays du Maghreb. Ce jugement favorable tient en deux mots : « monarchie » et « réforme ». Face à la contestation, surtout celle des islamistes, le commandeur des croyants possède une légitimité dont ne disposent ni les militaires qui contrôlent le pouvoir en Algérie et en Mauritanie, ni la famille Ben Ali, qui faisait de même en Tunisie. Comme symbole et réalité du pouvoir, le roi du Maroc est seul dans sa catégorie et il s'est entouré d'une classe de jeunes dirigeants et technocrates qui ont compris que, sans début de réforme, le royaume allait à la catastrophe. L'ouverture politique marocaine peut apparaître bien modeste, mais elle n'en contraste pas moins avec l'immobilisme absolu de ses voisins. De plus, le Maroc a bénéficié de la politique des grands barrages mis en chantier par Hassan II. Au Maroc, la pauvreté est peut-être plus grande et plus visible qu'en Algérie ou en Tunisie, mais les estomacs y risquent moins d'être vides. L'autosuffisance alimentaire a toujours été une des clefs de la stabilité des régimes.
Ce qui contribue à expliquer l'incroyable rapidité de la chute du régime en Tunisie, c'est la facilité relative avec laquelle l'information a circulé en dépit d'un régime policier réputé pour un des plus rigides du monde. Certes, les nouvelles technologies de l'information, des images des téléphones portables à Facebook et Twitter, rendent toute forme de contrôle beaucoup plus difficile. Mais la technologie n'explique pas tout. Victime de son aveuglement, de sa rapacité, de la brutalité de son système de répression, de son incapacité à se transformer pour survivre, le régime tunisien a tout simplement chuté comme un fruit trop mûr, sous nos yeux surpris.
Un mélange de printemps des peuples type 1848 en Europe et de révolte de la jeunesse va-t-il s'étendre à l'ensemble des pays de la région ? Pourra-t-on parler un jour de l'Union pour la Méditerranée démocratique (UPMD) ? L'armée, comme dans certains pays d'Amérique latine hier, assurera-t-elle une transition paisible vers la démocratie ? Ou le risque de chaos est-il réel ?
Au sein d'un monde arabe humilié par le comportement de ses dirigeants et les performances de ses Etats, les pays qui semblent les plus vulnérables aujourd'hui sont l'Egypte et l'Algérie. Mais l'Histoire est en marche pour tous. Pour le meilleur ou pour le pire ?
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