TOUT EST DIT

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mercredi 17 novembre 2010

Renforcer la culture du risque en France

La tempête Xynthia de fin février et les orages du Var de la mi-juin ont douloureusement marqué le premier semestre 2010, avec plus de 80 morts et 2,5 milliards d’euros de dommages matériels indemnisés, dont 80% par l’assurance et 20% par l’Etat. Pourtant, ces événements sont très loin d’être les plus violents susceptibles de se produire en France.

Au-delà des controverses qui se sont ensuivies, le Sénat, l’Assemblée nationale et le gouvernement ont unanimement appelé à renforcer la culture du risque en France. C’est une démarche dont les dimensions sont classiques : conserver la mémoire du risque, faire progresser la connaissance, éviter de s’exposer, étudier l’expérience des autres pays, évaluer le coût et l’efficacité des mesures de prévention et, enfin, se mettre en situation de financer ces mesures. Or il subsiste deux écueils importants, qui rendent problématique le développement d’une culture du risque en France.

Le premier écueil réside dans l’immense difficulté qu’éprouve la population à accepter le coût du risque, financier ou non. Comme exemple non financier, prenons La Faute-sur-Mer : les témoignages montrent à quel point il est difficile pour certains habitants de quitter leurs logements, alors qu’ils sont classés en zone de solidarité. Certes, ce classement est contesté et a d’ailleurs évolué depuis les zones noires initiales. Mais comment nier que ce littoral reste exposé et qu’il suffirait, au même endroit, d’un événement plus puissant que Xynthia pour dévaster une superficie supérieure ?

Nombreux sont, par ailleurs, les habitants qui critiquent « les autorités » pour n’avoir pas su éviter la catastrophe. L’auteur de ces lignes manque d’éléments sur ce sujet, mais propose simplement une expérience par la pensée : si, avant Xynthia, « les autorités » avaient demandé aux habitants de se reloger plus loin sans perte financière, au motif que l’exposition au risque de submersion marine était avérée (ce n’est pas pour rien qu’il y avait des digues à cet endroit), croit-on vraiment qu’ils y auraient consenti ? Il est clair que la question n’est que rhétorique : même après Xynthia, une telle démarche ne fait pas consensus parmi les habitants des communes les plus touchées. L’absence de coût financier n’y fait rien : les contraintes visant à se protéger du risque ne sont pas acceptées.

Le coût financier maintenant : le plan digues est chiffré par M. Borloo à 500 millions d’euros. Or investir ce demi-milliard ne nous débarrassera pas de tout risque. Non seulement le risque d’inondation demeurera – temporairement réduit –, mais encore le combat contre les autres aléas naturels continuera à requérir des investissements lourds. Spécialiste du risque, Didier Heiderich estimait, en 2005, que « combattre les risques consomme environ 20 à 30% des ressources d’un pays comme la France » (même s’il évoquait alors la totalité des risques, et non les seuls risques naturels).

L’assurance répond en partie au problème du financement. Parce qu’elle mutualise le risque, qu’elle propose une couverture stable dans le temps, qu’elle recueille des données lui permettant d’analyser l’exposition et qu’elle confie la réparation des dommages à des professionnels, l’assurance aide à optimiser la gestion du risque au sein de la société. Mais elle a un coût et les hausses de primes ne sont jamais vraiment comprises par les assurés, même lorsqu’elles font suite à des catastrophes. Pourtant, ce sont ces dernières qui révèlent aux assureurs qu’ils percevaient jusqu’alors le risque de manière incomplète. Au fur et à mesure que la connaissance de l’exposition réelle aux catastrophes s’enrichira, hélas, de nouvelles expériences, une tendance à la hausse des primes se dessinera.

Il arrive aussi que les couvertures proposées par les assureurs soient incomplètes : tous les risques ne sont pas assurables, ou pas dans des conditions économiquement acceptables. Mais, même lorsque l’offre d’assurance est disponible et que ce sont les propres décisions budgétaires des sinistrés qui les ont fait « choisir » de se sous-assurer, voire de ne pas s’assurer, le constat est que, de nos jours, face à une catastrophe majeure, on ne les laisse plus gérer eux-mêmes leur situation sans aucun soutien.

Des fonds publics, financés par prélèvements obligatoires, peuvent intervenir dans l’indemnisation : cas, parmi d’autres, des mesures prises suite à Xynthia à travers le Fonds Barnier. On peut voir aussi l’Etat demander aux assureurs « d’avoir une appréciation mesurée de la vétusté et des franchises appliquées », comme dans le cas des inondations du Var du mois de juin. De plus, les assureurs prennent d’eux-mêmes des initiatives dans le même esprit, comme renoncer à faire valoir certaines exclusions ou encore, à l’extrême, réactiver une police qui avait été résiliée pour non-paiement de la prime, comme après la tornade d’Hautmont d’août 2008. L’Etat peut, enfin, mettre en place des dispositifs d’aide spécifiques, au cas par cas, comme après la tempête Klaus de janvier 2009.

Ces réponses constituent toutes des expressions de solidarité financière coordonnée au plan national pour améliorer le sort des sinistrés par rapport à ce qu’il aurait été s’ils avaient dû assumer seuls les conséquences des arbitrages individuels et collectifs passés. Malgré cette solidarité, il est rarissime de lire des témoignages de reconnaissance des personnes concernées.

C’est ce qui amène à repérer le second écueil : la manifestation du risque, même naturel, est perçue comme une injustice et un scandale. Il n’existerait aucun niveau de risque acceptable et la solidarité mentionnée à l’instant serait un dû, rien de plus.

Le Pr. Marie-Anne Frison-Roche identifie, justement, la notion de risque acceptable comme un antidote aux dérives potentielles d’un nouveau « droit à la sécurité des systèmes », non contestable en tant que tel s’il ne se prêtait à être appréhendé de manière totalitaire. L’auteur vise certes d’abord les dispositifs de régulation financière ou sanitaire, mais étend aux catastrophes naturelles sa mise en garde contre la revendication d’un droit à la sécurité absolue des systèmes à risques.

Evitons le piège, car c’en est un, d’en venir à ne plus trouver aucun risque acceptable et à exiger comme un dû la compensation inconditionnelle des préjudices consécutifs aux catastrophes naturelles. Une telle attitude découragerait ceux qui investissent dans des mesures de prévention (à quoi bon investir si je suis parfaitement indemnisé quoi qu’il arrive ?), et nous laisserait vivre dans une illusion de toute puissance qui nous exposerait à de douloureuses déconvenues.

Qui décidera quel est le risque acceptable ? Comment encadrer le droit émergent à la sécurité des systèmes ? C’est là une vraie difficulté, qu’il faudra bien apprendre à surmonter collectivement, par le débat démocratique. Un enjeu de taille sera de savoir concilier la notion de risque acceptable avec la nécessité éthique de tendre la main à ceux qui ont subi des préjudices graves, tout en valorisant les gestes de prévention de ceux qui les auront posés. Une piste se trouve peut-être dans une intuition du sociologue Ulrich Beck, selon lequel nos sociétés accorderaient une valeur essentielle à un nouveau principe d’égalité devant le risque. Devant le risque, donc, et non devant le sinistre.

Lorsque Mme Jouanno déclare devant le Sénat, en évoquant Xynthia, que « jusqu’à maintenant, nous n’avons jamais arbitré sur les niveaux de risques acceptables. Nous avons là une bonne occasion de le faire », elle donne à espérer que les thèmes du coût du risque et du risque acceptable prendront désormais toute leur place dans la promotion de la culture du risque en France.

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