TOUT EST DIT

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mercredi 17 novembre 2010

Justice : la mauvaise passe du parquet


Dans le landerneau judiciaire, on le sait depuis longtemps : l'affaire Woerth-Bettencourt risque d'enterrer définitivement la réforme prévoyant la suppression du juge d'instruction. La Cour de cassation doit donner aujourd'hui le coup de grâce en décidant du lieu de dépaysement du dossier, vraisemblablement à Paris. Hier, vingt-quatre heures à peine après le départ du gouvernement d'Eric Woerth, le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, a décidé de saisir la commission des requêtes de la Cour de justice de la République (CJR) du cas de l'ancien ministre du Travail, qu'il soupçonne de favoritisme et de prise illégale d'intérêts lors de la cession de l'hippodrome de Compiègne. Il y a quinze jours, devant le déferlement médiatique, le procureur général de Versailles avait dû finalement demander à Philippe Courroye de transmettre l'ensemble du dossier -hautement sensible -à des juges d'instruction. Il semble donc désormais difficile de continuer à défendre une enquête judiciaire confiée aux seules mains du parquet - certes sous la surveillance d'un juge de l'enquête et des libertés -, comme la chancellerie l'avait envisagé dans la phase 2 de la réforme de la procédure pénale.


Tout se passe comme si l'affaire Woerth-Bettencourt avait agi comme une affaire Outreau à l'envers : un cataclysme médiatico-judiciaire forçant à tout remettre en question… Mais alors qu'hier c'était l'instruction qui était mise en cause, cette fois, c'est le parquet qui est en ligne de mire.


Il y a encore six mois, pourtant, tout semblait lui sourire : à en croire le gouvernement, lui seul savait travailler en groupe. Certes, il était hiérarchisé, mais il savait aussi montrer son indépendance, martelait alors la chancellerie. L'instruction, marquée par le désastre d'Outreau et par d'interminables affaires financières ayant le plus souvent débouché sur des relaxes, se devait d'être réformée. Conséquence : il valait mieux confier l'enquête au parquet, plus efficace et plus rapide que le juge d'instruction. L'affaire Woerth-Bettencourt a sonné le glas de cette vision idyllique, alors que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait déjà rappelé à l'ordre la France sur l'absence d'indépendance de son ministère public.


Peu importe que les enquêtes préliminaires sur l'affaire Woerth-Bettencourt aient été, selon le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, « un modèle du genre ». Pour certains magistrats, ce dossier aura simplement démontré ce qu'ils ne cessent de clamer depuis le début de la réflexion sur la réforme de l'instruction : il ne peut y avoir de suppression du juge d'instruction sans réforme du parquet. Certes, tous s'accordent à dire que Philippe Courroye a travaillé vite. Mais sans que personne n'ait accès au dossier. Le secret et l'absence de procédure contradictoire sur des soupçons de financement occulte de parti politique, de blanchiment de fraude fiscale ou de trafic d'influence mettant en cause une des premières fortunes de France et un ministre en exercice, le tout confié à un magistrat rattaché au ministre de la Justice et, qui plus est, ne cachant pas ses relations personnelles avec Nicolas Sarkozy, ne pouvaient que dégénérer sur le plan médiatique. D'autant plus que, à Nanterre, l'inimitié entre Philippe Courroye et Isabelle Prévost-Desprez a fini de transformer cette affaire tentaculaire en marigot judiciaire, réveillant le conflit traditionnel entre magistrats du siège et magistrats du parquet. Les premiers raillant le manque d'indépendance des seconds, lesquels dénoncent à leur tour l'inefficacité brouillonne et bruyante du siège…


De fait, le parquet accumule les revers ces temps-ci, nourrissant comme jamais la suspicion de ceux qui voient dans chacune de ses décisions l'influence du pouvoir politique. Le 9 novembre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé recevable la constitution de partie civile de Transparency International dans l'affaire des « biens mal acquis », ouvrant ainsi la voie à une instruction sur les conditions d'acquisition, en France, du patrimoine de trois chefs d'Etat africains : Omar Bongo (Gabon), Théodore Obiang (Guinée équatoriale) et Denis Sassou N'Guesso (Congo). En avril 2009, le parquet de Paris s'était opposé à l'ouverture d'une information judiciaire dans ce dossier suivi de près par l'Elysée, arguant que l'ONG n'avait pas subi de « préjudice direct et personnel ». La veille, le 8 novembre, un juge d'instruction avait décidé de renvoyer devant un tribunal correctionnel Jacques Chirac pour « prise illégale d'intérêt » dans l'affaire des emplois fictifs de l'ex-RPR. Un mois auparavant le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, qui avait aussi instruit ce dossier, avait requis un non-lieu, estimant qu' « il n'existait pas un système connu de M. Chirac destiné à financer de façon occulte le RPR »… Le 25 octobre déjà, la décision du parquet financier de Paris de classer sans suite l'affaire des sondages de l'Elysée avait soulevé nombre d'interrogations. Le dossier concernait une convention passée entre la présidence de la République et la société Publifact, dirigée par Patrick Buisson, un des conseillers de Nicolas Sarkozy, pour 1,5 million d'euros. Le marché avait été passé sans appel d'offres et le contrat signé par Emmanuelle Mignon, alors directrice de cabinet du chef de l'Etat. Le ministère public avait justifié sa décision de classement sans suite en étendant à la directrice de cabinet l'immunité pénale du président de la République.


Dans ce contexte, le gouvernement s'aventurera-t-il dans une réforme du parquet, beaucoup plus difficile à enclencher que la suppression du juge d'instruction ? En France, l'équation est quasiment insoluble : comment, sans rendre le parquet indépendant (ce que même les magistrats dans leur grande majorité ne veulent pas), le libérer des pressions politiques, réelles ou supposées ? La création d'un procureur général de la nation avait un temps été défendue par certains hauts magistrats. Jean-Louis Nadal en rêve. Il doit bientôt quitter ses fonctions. Mais il n'est pas certain que ce projet enthousiasme la chancellerie car, non seulement la création d'un procureur général de la nation n'apporte pas de solution globale, mais elle signifierait surtout la perte de pouvoir du ministre de la Justice… sur les affaires pénales.

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