Il y a des mots que l'on devrait regretter d'avoir prononcé. Tony Hayward, le patron de BP jugeant, en avril, « très très modeste » l'impact de la marée noire provoquée par son entreprise dans le golfe du Mexique. Ou cet avocat des laboratoires Servier déclarant, en juin, lors du procès contre le livre accusateur d'une pneumologue de Brest : « On ne peut se voir accusé de donner la mort quand ce n'est pas fondé sur des preuves scientifiques. » Des preuves scientifiques, il semble qu'il y en ait puisque l'agence française des produits de santé estime à près de 500 le nombre de décès dus au coupe-faim Mediator.
Et l'on est même stupéfait d'apprendre qu'il a fallu attendre dix ans après les premiers cas signalés pour que soient diligentées des études à grande échelle.
Dans la pharmacie, le principe de précaution s'utilise donc à l'envers. Tant que le caractère nocif d'un produit n'est pas démontré, on continue à le vendre. Bien sûr, les médicaments les plus efficaces ont tous leur part de risque. C'est ce qui brouille l'analyse, puisqu'il faut tenir compte du rapport coût/bénéfice pour le malade et la société. Mais dans ce cas, les éléments à charge n'ont pas manqué. Cousin du Mediator, l'Isomeride est retiré du marché en 1997 sur la foi de recherches américaines prouvant sa nocivité. Puis en 1999, le service médical rendu par le Mediator, est jugé « insuffisant » par la commission de la transparence. Au même moment, des hôpitaux rapportent les premiers cas. Pis, alors que son efficacité est mise en doute, ce médicament est largement diffusé au-delà des patients diabétiques, à destination de personnes à la recherche d'un régime amaigrissant « musclé ». 5 millions de Français en ont consommé.
Voilà un médicament à l'utilité contestée, soupçonné depuis longtemps, qui n'est plus vendu qu'en France, et que l'on continue à produire à haute dose avant qu'enfin une étude massive prouve en 2009 sa dangerosité et conduise à son retrait. En attendant, on dénigre les porteurs de mauvaises nouvelles.
Ce n'est pas la première fois que ce genre d'affaires se produit. Ce n'est qu'après la publication en 2004 d'une étude faisant état de près de 20.000 décès que Merck a retiré de la circulation son anti-inflamatoire Vioxx.
Ainsi, au XXI e siècle, pour protéger leurs ventes, des entreprises prennent encore le risque de la réputation pour elles, et de la santé pour d'autres. Troublant. Comme l'est aussi l'attitude des autorités sanitaires pas toujours très promptes à réagir. La question de l'indépendance du régulateur face aux intérêts industriels et politiques est à nouveau posée. Il est temps d'y apporter une réponse.
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